Idées
Des jouets entre les mains de quelques-uns

Depuis son élection, Barack Obama, le nouveau président des USA, a dû recevoir un nombre incalculable de lettres de par le monde. Parmi elles, une, fantastique, mise en ligne sur Youtube, dont on espère qu’il a eu connaissance. Sous le titre «Ote la douleur de mon cœur», elle commence ainsi :
«Obama, ils disent que tu vas changer le monde. S’il te plaît, viens et change ma vie, à moi, personnellement». Celle qui lui envoie ce courrier est une Israélienne qui agit au sein de Machsom/Checkpoint Watch Association, mouvement de femmes israéliennes créé en 2001 dont la mission est d’enregistrer et de rapporter les violations des droits de l’homme commises aux check-points. Chaque jour, cette femme se rend à ces barrages militaires essaimés à travers tout le territoire de la Cisjordanie. Elle y va, regarde et note. Sa lettre se présente sous forme d’un défilement d’images de l’oppression israélienne. Cette Israélienne demande au nouveau président américain de venir voir ce qui se passe dans son pays et de «nous libérer du contrôle que nous exerçons sur d’autres gens». «Viens, lui dit-elle, et mets-nous hors des territoires occupés (…) Fais en sorte que je n’ai plus à voir un jeune de 19 ans pointer son arme sur un enfant de cinq ans en étant convaincu qu’il défend ainsi la patrie (…) Fais en sorte que lorsque ma fille prend une douche pendant une demi-heure, je n’ai plus à penser à ces gens qui vont chercher l’eau à dos d’âne dans des bouteilles de Coca-Coca». Et les prises de vues de rendre le propos encore plus fort avec des scènes qui illustrent de manière poignante ce que les mots racontent. L’appel se conclut sur un «viens et sauve-nous de nous-mêmes».
Tout le long de sa lettre, cette Israélienne insiste sur son incapacité à trouver la paix de l’âme tant que son pays continue son impitoyable occupation. Des voix juives comme celles-ci, il s’en est élevé de nombreuses au cours de l’offensive israélienne sur Gaza. Leur force compensa le fait qu’elles étaient minoritaires. On a pu ainsi lire un article titré : «Je suis juif et aujourd’hui, j’ai honte»(1). Un autre où l’intéressé écrit au président israélien pour lui demander d’effacer le nom de son grand-père, gazé à Tréblinka, du Mémorial de Yad Vashem (Jérusalem) dédié à la mémoire des victimes juives du nazisme. «Je vous demande d’accéder à ma demande, monsieur le président, lui dit-il, parce que ce qui s’est passé à Gaza et, plus généralement, le sort fait au peuple arabe de Palestine depuis soixante ans, disqualifie à mes yeux Israël comme centre de la mémoire du mal fait aux juifs…(2)».
Quant à Michel Warshawski, l’infatigable militant israélien des droits des Palestiniens, dans son cri de colère : «Non, non, non, pas en notre nom!», a été parmi les premiers à réclamer que les commanditaires de l’offensive sur Gaza soient traduits en tant que criminels de guerre devant un tribunal international. Malheureusement, ces Justes parmi les juifs(3) n’ont pu que prêcher dans le désert. Impavides, les dirigeants israéliens ont été jusqu’au bout de leur logique meurtrière, l’œil fixé sur le 10 février, date des élections législatives. Pour remporter celles-ci, il fallait se montrer impitoyable envers «l’ennemi» d’autant que le leader de la droite, Benjamin Netanyahu, avec son discours extrémiste, caracolait dans les sondages. Ce 10 février donc, les élections ont eu lieu et on ne peut ne pas penser au bain de sang occasionné en leur prévision. On ne peut ne pas penser au hiatus entre les valeurs sous-tendant cet instrument de la démocratie et l’inhumanité engendrée par la soif de pouvoir chez des responsables gouvernementaux, prêts à tout pour ne pas le perdre. L’Israélienne de Machsom/Checkpoint avouait dans sa lettre à Obama son intense besoin de retrouver «la paix de l’âme». L’âme par contre de Tsipi Livni, obnubilée par la volonté de prouver qu’une femme peut, comme un homme, se montrer impitoyable en matière de sécurité nationale, n’a pas frémi devant les centaines d’enfants palestiniens arrachés à la vie au cours de l’opération «Plomb fondu». Et l’on revient à cette constante, à savoir que le devenir des hommes se trouve, plus souvent qu’il ne faut, pris en otage par des responsables politiques qui, dès lors qu’ils goûtent au poison subtil du pouvoir, sont prêts à tout pour ne pas le perdre.
De prime abord, ceux qui nous gouvernent sont censés être mus par les seules motivations d’intérêt public. Or, étant des hommes comme les autres, leurs actes sont aussi, et parfois plus souvent qu’il ne faut, guidés par des considérations d’ordre strictement personnel. Le cas de l’offensive sur Gaza l’illustre douloureusement. Battre Netanyahu, tel était l’obsession première d’une Tsipi Livni ou d’un Ehud Barack. Et tant pis si le coût en devait être des milliers de vies détruites. Et tant pis si cela doit contribuer à rendre l’avenir des juifs eux-mêmes plus incertain que jamais. Tout sauf perdre le goût enivrant du pouvoir. En ces temps de crise mondiale où la planète tout entière paye pour les dérives financières d’une poignée, jamais le sentiment d’être des jouets entre les mains de quelques-uns n’a été aussi grand.
