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Idées

Sous les pavés, la mondialisation …

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Un pamphlet(*) paru en 2002 le classe en bonne position parmi ceux que l’on étiquette sous le nom de «nouveaux réactionnaires», défenseurs de l’ordre établi et partisans d’un retour aux valeurs anciennes. Mais quand on lui pose la question de savoir ce qu’est une vie réussie, Luc Ferry cite les Grecs anciens selon lesquels «on accédait à la vie bonne quand on parvenait à surmonter ses peurs (…), condition première pour être libre et pouvoir s’ouvrir aux autres». Du coup, derrière l’homme dont les propos sur LCI peuvent en hérisser plus d’un, on retrouve l’agrégé de philosophie obsédé par cette chose fondamentale qu’est le sens de la vie. Or, au-delà des clivages, idéologiques ou culturels, les problématiques de l’heure, en tête le désarroi généralisé engendré par la crise financière, rendent comme jamais cette interrogation à l’ordre du jour. Dans le cadre du cycle de conférences de la RAM, l’auteur de Familles, je vous aime, en sa qualité d’ancien ministre français de l’éducation nationale et d’actuel président du Conseil d’analyse de la société, a été invité à s’exprimer sur l’une de celles-ci sous le thème : «L’éducation et l’enseignement à l’ère de la mondialisation».
Nombre de parents de par le monde nourrissent les mêmes interrogations angoissées sur la validité de l’enseignement dispensé à leurs enfants au regard de la complexité formidable du monde présent. A nous qui vivons la énième réforme pédagogique de l’Education nationale sans plus de résultats probants que les précédentes, il est intéressant d’apprendre qu’en France -et le conférencier de démarrer son intervention sur ce fait – la question du niveau des jeunes hante le débat public. Etant de ceux pour lesquels sa baisse est une évidence, Luc Ferry rapporte que si en 1920 on faisait cinq fautes dans une dictée, pour le même texte on en commet dix-sept aujourd’hui ! Le conférencier attribue pour une large part ce déclin de la maîtrise de la langue à la réforme pédagogique qui, depuis les années 60, fait de la prise en compte de la spontanéité des enfants une règle de base en matière d’enseignement. Le principe en est qu’il faut captiver les élèves et susciter leur intérêt avant de tenter de leur enseigner quoi que ce soit. Luc Ferry dénonce pour sa part cette approche qui aurait mené «à un véritable désastre». «A 95%, dit-il, l’éducation, c’est la transmission d’un patrimoine. La langue, nous la recevons comme un héritage. La créativité en grammaire, ce sont les fautes de français». Et de faire le parallèle avec la politesse qui, comme la grammaire, ne peut s’acquérir «spontanément» mais nécessite un passage par la contrainte. Enfant de 1968, cette réforme pédagogique, Luc Ferry l’inscrit dans le processus de déconstruction des valeurs traditionnelles qui a caractérisé le  XXe siècle, «une déconstruction comme jamais on en a connu en matière d’autorité et de valeurs». Cette mise à plat des valeurs traditionnelles, Luc Ferry la fait remonter à la fin du XIXe siècle avec le mouvement de la bohème, mouvement de jeunes anticonformistes, qui, notamment en matière artistique, partirent en guerre contre les normes en vigueur, rejetant la réussite sociale et l’argent et se donnant des noms tels que «j’m’enfoutiste» ou «fumiste», à ce jour présents dans le langage courant. Si, en  peinture, ils furent les précurseurs du mouvement surréaliste, ce sont leurs enfants spirituels que l’on va retrouver à battre le pavé en mai 1968 dont l’un des grands slogans était : «Sous les pavés, la plage». Or, «sous les pavés», ironise l’essayiste, il y avait, non pas la plage mais «le capitalisme financier et la mondialisation». La thèse développée par Luc Ferry est que la déconstruction des valeurs traditionnelles est ce qui a permis l’émergence de l’ère de la consommation et le règne de la mondialisation libérale. Le lien entre mondialisation et éducation, Luc Ferry l’établit donc là, au niveau de cette décomposition des valeurs traditionnelles qui a servi de cheval de Troie au libéralisme sauvage, ce libéralisme qui transforme les individus en drogués de la consommation, créant chez eux un véritable réflexe d’addiction. Mais, ajoute-t-il, «plus les valeurs traditionnelles sont fortes, moins on est en manque». On en déduit donc que dans une société comme la nôtre, où le poids de la tradition reste important, nous devrions être relativement préservés de cette compulsion de consommation. Il en irait de même en matière d’enseignement, la prise en compte de la «spontanéité de l’enfant» n’étant pas à ce jour le souci premier de l’éducateur, ni même le second ! Notre société n’a pas eu la chance (ou la malchance, c’est comme on veut) de vivre Mai 68, et l’autoritarisme continue à sévir partout et sous toutes ses formes. Pourtant le niveau des élèves chute chaque année un peu plus et on ne sait plus quelle réforme inventer pour arrêter les dégâts. Dans le même temps, on vendrait père et mère pour acquérir le dernier-né des téléphones portables, la frénésie de la consommation frappant sans distinction à toutes les strates de la société. La non-déconstruction des valeurs traditionnelles ne semble guère à ce jour nous avoir protégés des méfaits de la mondialisation libérale pas plus qu’elle n’a préservé la qualité de notre enseignement. Voilà pourquoi, malgré ce que nous en dit Luc Ferry, nous serions bien tentés de nous livrer nous aussi à un petit exercice de déconstruction de valeurs traditionnelles. Juste pour voir si cela n’aurait pas l’effet inverse.