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Culture

Smaïn, le retour après une éclipse de sept ans

Il a pris sept années pour panser ses blessures et se requinquer, loin des projecteurs.
Vendredi 8 avril, l’humoriste Smaïn présentera au cinéma Mégarama, à Casablanca,
le one man show «Rebelote». Portrait d’un pitre tendre et triste, qui excelle à décocher des flèches acérées, jamais mortelles.

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C’est en costume noir et cravate assortie que s’exhibe Smaïn dans son spectacle. Le baladin a remisé au magasin des vieux accessoires son jean défraîchi, compagnon fidèle d’une longue route, et il ne porte plus qu’une seule basket rouge. Smaïn a changé. Sa manière de se nipper en est le signe apparent. Entre A star is beur, son premier one-man-show, et Rebelote, avec lequel il amorce un virage de sa carrière, il s’est fait un nom parmi la famille nombreuse de l’humour français, beaucoup d’argent – bien qu’il reste à distance respectable de son émule et cadet Jamel Debbouze (3 millions d’euros en 2004) – et une réputation de tête brûlée, qu’il s’efforce d’édulcorer. Il a aussi pris du bide et en a essuyé quelques-uns de retentissants: «J’ai grossi, mais ça n’a rien à voir à côté du bide que j’ai pris au cinéma», confesse-t-il en prélude à Rebelote.

Orphelinat, DDASS… lui ont donné très tôt l’envie de se mettre en lumière
Smaïn pratique l’autodérision sans modération. A l’instar de tous ceux auxquels le destin a infligé une blessure indélébile. Celle qu’il traîne, comme une mauvaise ombre, remonte à sa naissance. Une naissance enveloppée d’une nuit épaisse. Le 3 janvier 1958, à Constantine, une inconnue le met au monde, puis se volatilise, le condamnant ainsi à aborder la vie sans racines, sans repères, sans identité. Les Sœurs-filles de la charité le recueillent, lui attribuent un nom «d’emprunt», forgé de deux prénoms Smaïn et Fairouz, prennent soin de lui, avant de le confier à une juive constantinoise. L’Algérie secouait ses fers, la mère adoptive de Smaïn craignait pour ses jours. Elle mit les voiles vers la France, avec l’enfant dans ses bagages. Aussitôt arrivée, elle l’abandonna à la DDASS. Il avait à peine deux ans, mais il a déjà été secoué par les vents contraires.
De la grisaille de la triste institution, Smaïn est arraché par un couple d’Algériens. Le voilà échoué dans une invivable cage à lapins, parmi une famille qui tire le diable par la queue. Ses parents se saignent aux quatre veines pour lui assurer l’essentiel. Mais à mesure qu’il grandit, il se met à rêver d’une vie meilleure. Doué d’une imagination florissante, il travestit la sienne dans ses rêveries solitaires. Affabulateur, il transmue, à l’adresse de ses petits camarades, ses désirs en réalités. Entre autres pieux mensonges, celui de faire passer son tuteur, balayeur, pour une vedette de l’ORTF. Et comme tous les enfants souffrant d’ «abandonnisme», Smaïn est avide d’affection. Il la recherche, la provoque, la force. En faisant son cabot. «A l’école, je n’arrêtais pas. Grimaces, tours de magie, j’avais besoin qu’on me remarque». Voilà comment les vocations s’éveillent.

Il débute en 1980 dans les cabarets parisiens avant que Bouvard le remarque et l’intègre dans son petit théâtre
Quatorze ans, l’interstice entre enfance et adolescence. Un monde solitaire et fragile de poésie, de rêverie et de violence, où le regard est piqué par ce trouble déconcertant qu’est la montée du désir. Autant de sensations dont Smaïn sera sevré. A cause de la mort de son père adoptif. L’adolescent, une nouvelle fois meurtri, doit retourner à la DDASS. Mais il n’est pas du genre à capituler devant l’adversité. Incorrigible, tenace, le cœur en marmelade, qu’il recolle comme il peut, avec des lambeaux d’espoir, il va tenir tête à cette vie qui le fuit. Sauf que l’horizon est fermé. Les études, menées avec une certaine nonchalance, ne semblent mener à rien de bon. Autant y mettre un terme ! A dix-huit ans, Smaïn se libère du carcan scolaire, pour s’en aller gagner sa vie. S’ensuit alors le cortège des petits boulots. Manutentionnaire, plongeur, convoyeur au Club Med…, il en a vite fait le tour. C’est astreignant, sans nourrir décemment son homme. Smaïn se souvient qu’il affichait des dispositions sérieuses pour faire rire ses proches et ses amis. Pitre, il l’est jusqu’à la racine de sa tignasse. C’est sa raison d’être, lui qui est né sans raison. Pourquoi ne pas en faire son métier ?
Paris lui ouvre les portes. Petitement, d’abord, en 1980, au Caveau de la Bolée, puis dans d’autres cabarets, où il fait la joie des Parisiens en goguette. Bouvard le repère et l’enrôle dans son petit théâtre. Là, il compose avec Pascal Legitimus, Bernard Campan, Didier Bourdon et Seymour Brussel, un quintette impayable. Mais Smaïn désire voler de ses propres ailes. Il tire sa révérence et s’en va concocter son propre spectacle, qu’il présentera au théâtre du Gymnase. A star is beur obtient un succès foudroyant. Smaïn aligne 165 représentations rien qu’à Paris, son sketch Le Président lui vaut la une du Nouvel Observateur et de l’Evènement du Jeudi. Il a acquis, d’emblée, le statut de vedette.
Las ! ce bonheur est assombri par un haro sur le baudet dû à un malentendu. Dans le one-man-show, Smaïn décline les travers «prêtés» aux Arabes. Certains y ont vu une satire en bonne et due forme. Ils n’ont pas hésité à accuser l’auteur de faire le jeu des arabophobes. Smaïn a beau s’en défendre, il n’en sera pas absous. Aujourd’hui encore, le malentendu persiste. Un de ses pairs, et pas le moindre, Jamel Debbouze, n’en démord pas : Smaïn prendrait les beurs banlieusards pour des singes. «Jamel est très doué, et je le respecte, mais il a une envie curieuse et malsaine de «tuer le père». Qu’il juge mes scketches par lui-même, et qu’il n’oublie jamais que le talent qu’on prête aux acteurs est aussi une question de mode», lit-on dans un entretien accordé par Smaïn à France Soir (mardi 7 décembre 2004).
Auréolé de ce triomphe inespéré, Smaïn va enchaîner les apparitions sur scène. L’amuseur, privé d’identité, ne se sent dans sa peau qu’en se mettant dans celles de personnages créés selon sa fantaisie.

En France, Smaïn est devenu le symbole de l’intégration par le rire
Le one-man-show T’en veux (1989), assoit sa réputation d’humoriste fin, percutant et efficace. Avec Comme ça se prononce (1992, Molière du meilleur one-man-show), il étale un talent insoupçonné de chanteur. Mais il se sent de plus en plus à l’étroit dans son habit de lumière. Le cinéma le courtise, il cède, sans tergiverser, à ses avances. Le beur qui monte joue dans l’Œil au beurre au noir (1990). Il passe la rampe. La réalisation le tente, il assouvit ce désir dans Les Deux papas et la maman (1997), où il est à la fois derrière et devant la caméra. Plus d’un million d’entrées. Smaïn est sur un nuage. Il en redescendra deux ans après. Charité bizness est snobé par le public. Il ne désarme pas cependant. La même année, il est engagé comme acteur dans le remake du Spountz. Il en gardera un goût amer. Le film est un désastre. Mais les échecs essuyés ne sont que de malencontreuses parenthèses dans une carrière flamboyante. Smaïn n’est pas seulement l’humoriste le plus plébiscité en France, il est aussi le symbole de l’intégration par le rire. Beaucoup de jeunes beurs vont lui emboîter le pas.
Serait-il, comme on l’a ressassé, le père spirituel de Jamel Debbouze, Gad El Maleh, Eric et Ramzy ? Si l’on confronte les styles de ces humoristes avec celui de Smaïn, la conclusion coule de source : ils ne surfent pas sur la même vague que leur illustre aîné. Il n’en demeure pas moins vrai que ce dernier leur a ouvert la voie, dans laquelle ils se sont engouffrés avec brio. Mieux encore : profitant d’une éclipse de Smaïn, qui a duré sept ans, ils ont fait leur chemin jusqu’à devenir les emblèmes d’une nouvelle génération d’humoristes français à la dent dure et sans concessions. L’ancêtre n’est plus qu’une relique respectable, souvent irrespectée. Avec la quarantaine, vint pour Smaïn le temps des remises en question, des doutes et des auto-flagellations. Il avait besoin de prendre du champ, de se dérober aux coups de projecteurs et suivre une cure psychanalytique pour se remettre d’aplomb. Il se mit en retrait.
En 2004, il refit surfarce. Complètement transformé. Sa fille, Kenza, dix ans, et son fils, Rayane, quatre ans, ont été sans doute pour beaucoup dans cette renaissance fulgurante, manifeste dans son spectacle Rebelote, où se découvre un Smaïn pimpant, attachant, tendre. Il y parle de la vie de tous les jours, de l’écume des jours, du racisme, de la CMV (crise du milieu de la vie), avec sa «sava-pataiguë», de la dépression chronique et de la déprimante téléréalité. De son tiroir à mots jaillissent des mots qui mordent, font mouche, éraflent, mais n’assassinent. C’est le retour en farce d’un humoriste qui a choisi de faire rire pour ne pas s’entendre pleurer. «Si le rire est le propre de l’homme, dit-il, je serai son gant de toilette».

çn «A l’école, je n’arrêtais pas. Grimaces, tours de magie, j’avais besoin qu’on me remarque». Smaïn a plutôt bien réussi son pari.