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Culture

Le Salon du livre de Casa veut se professionnaliser

Le XIe Salon international de l’édition et du livre se tiendra à la Foire de Casablanca du 11 au 20 février, résolu à éviter les errements passés. Avec 650 exposants, dont 56 étrangers, et des manifestations prestigieuses comme celle de l’Espagne en l’honneur de Cervantès, géant de la littérature, il propose des moments forts et s’appuie sur les vrais professionnels.

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Organisée par le ministère de la Culture, cette manifestation à caractère culturel et commercial «s’adresse aux entreprises, nationales ou étrangères touchant aux secteurs d’activités suivants : édition, librairie, presse, diffusion, distribution, imprimerie, messageries, bibliothèques, papeterie…», dans le souci fondamental de promouvoir, de développer et d’encourager le livre. Mais en se déployant sur dix journées, le SIEL vise essentiellement à valoriser le plaisir de lire, susciter une saine curiosité pour le livre, donner le goût de la lecture. Mission honorable que ce rendez-vous naguère biennal, désormais annuel, n’a pas souvent mené à bien.

500 000 visiteurs l’année dernière, on en attend 700 000 cette année
Si les premières prestations du SIEL volaient haut, la suite ne fut pas un chemin de roses. Pis : il amorça un dérapage incontrôlé qui l’envoya dans le décor. La manifestation était transformée en une gigantesque braderie. Ici, s’étalaient des ouvrages obsolètes offerts à vil prix. Là, s’exposaient des publications sur le patrimoine mal fagotées. Plus loin, on apercevait un envol de barbes inquiétantes. Il s’agissait d’illuminés qui, entre deux prêches furtifs, écoulaient une littérature sectaire, haineuse, fanatique. Et dire que le SIEL précise qu’on est «tenu de ne pas exposer des documents pouvant porter atteinte aux bonnes mœurs, à la moralité publique, aux institutions nationales et aux convictions religieuses» !
Quand les stands bradeurs étaient courus, ceux qui présentaient des nouveautés se tournaient les pouces. Beaucoup prenaient leurs cliques et leurs claques, fuyant cette criée tonitruante qui couvrait les voix des conférenciers en mal d’auditeurs.
Les choses ont pris un cours plus avenant lorsque Rachid Jebbouj fut désigné commissaire général du SIEL: «J’ai mis l’accent sur l’obligation de présenter des nouveautés et sur la limitation des quantités à exposer, parce que le salon doit être un outil de développement de la profession et non pas un moyen de destruction de la profession», déclare-t-il. Le temps des braderies est-il, pour autant, révolu ? En tout cas, Mohamed Achaâri, ministre de la Culture, se fit un point d’honneur, lors de la 8e édition du SIEL, de mettre le holà à la pente savonneuse sur laquelle le salon surfait. Au grand mécontentement des margoulins qui montèrent au créneau, accusant le ministre de tous les péchés, dont celui de «censeur du Coran».
Il est vrai que le SIEL n’est pas complètement dégagé, beaucoup d’indésirables continuent de le polluer, malgré une vigilance jamais relâchée, mais il prend, peu à peu, des couleurs plus seyantes. Celles qui rehaussent son caractère foncièrement festif. Car cette manifestation est d’abord une fête. L’on y débarque en bande, en famille, en taxi, en car ou à pied, pour le seul plaisir de se fondre dans la foule ou dans l’espoir de serrer la main de ses auteurs favoris. On y fait ses emplettes à raisonnables frais. Et si l’on veut en épuiser toute la saveur, une journée entière ne suffirait pas.

Les éditeurs marocains seront présents en force
Après une longue flânerie parmi les nourritures spirituelles, il convient de se sustenter. Des baraques sont prévues pour ce faire, elles sont constamment prises d’assaut bien qu’elles sentent le graillon et qu’elles imposent des prix prohibitifs. Mais à la fête comme à la fête. On ne lésine pas sur la dépense et on monte au… SIEL par flots. Ils étaient 507 301 à y affluer lors de la dernière édition, on en attend 700 000 cette année.
Sur une surface d’exposition de 18 000 m2, les maisons d’édition étrangères ont déjà retenu (au 15 janvier 2005) 7 192 m2. Cinquante-six pays sont attendus, dont l’Espagne, la France, le Koweit, l’Egypte. La Foire de Casablanca fournit aux 650 exposants des stands de 9 à 99m2, fin prêts, à des prix défiant toute logique, puis divers accessoires, allant du fauteuil au cendrier en passant par le bureau et le réchaud. Editeurs, imprimeurs et libraires marocains se taillent la part du lion dans le XIe SIEL. Les plus fortunés possèdent leur propre espace, les moins lotis trouvent refuge chez Sochepress ou Sapress, ou encore chez l’une des maisons étrangères, qui ne sont pas regardantes sur le nombre de mètres carrés.
Eddif, revenue de ses tourments, présentera ses sept nouveaux titres, dont l’éblouissant Livre de Pierre, d’Alain Rodrigue. Les éditeurs Tarik proposeront leurs nouvelles audaces, à des prix modiques (30 DH), tels Une odeur de mantèque et Agadir, deux bijoux sertis par Mohamed Kaïr-Eddine. Yomad, dont la survie tient du miracle, sera bien présente, avec ses livres dédiés à l’enfance et à la jeunesse. Deux d’entre eux retiendront sûrement l’attention : Abdelkrim, héros du Rif, de Zakia Daoud et Il était mille et une fois, de Ouadia Bennis. Le Fennec, qui tient bien son rang malgré la tourmente, offrira à voir ses quinze nouveaux titres, parmi lesquels se dégage le passionnant Grâce à Jean de la Fontaine, de Mohamed Nédali. Marsam profitera du SIEL pour écouler davantage son Ralliement du Glaoui (5 000 exemplaires vendus). Okad, une maison prolifique, Wallada, qui reprend des couleurs après une période exsangue, Najah Al Jadida, toujours égale à elle-même, ne manqueront pas à l’appel, le ministère de la Culture non plus, dont les publications frappent par leur diversité et leur éclectisme: de l’essai (Alayn wa Al mir’at, de Farid Zahi) à la traduction (Libro del frio, d’Antonio Gamoneda, traduit par Mehdi Akhrif), en passant par le récit (Hajar Al Milh, de Brahim Dib) et, dans la revue Attakafa Al Maghribia, n° 28, un dossier sur Edward Saïd.

L’Espagne sera à l’honneur en ce 400e anniversaire de «Don Quichotte»
Le ministère de la Culture ne se contente pas de publier, il puise aussi dans son escarcelle pour renflouer l’édition, sous forme d’aide à l’impression, à hauteur de 50% du coût, en faveur d’une quarantaine de titres. Mais ni ce soutien, que beaucoup d’éditeurs jugent insuffisant, ni les 1,5MDH, généreusement consentis par le Bureau du livre de l’ambassade de France, ne parviennent à sortir l’édition de sa léthargie. A peine trois cents parutions par an, pas plus de 1 500 exemplaires tirés, sauf exception, et des méventes à la pelle. Ce qui est peu, quand on sait qu’un petit pays comme le Portugal publie, bon an mal an, 6 000 titres. Le ministère de la Culture invoque l’analphabétisme (60%) et l’illettrisme rampant. Les éditeurs, eux, mettent le marasme sur le compte des pouvoirs publics, peu soucieux d’encourager le livre. Dans une simple province telle que le Québec, les éditeurs reçoivent une subvention de 14 millions de dollars, font-ils remarquer. Comparaison n’est pas raison, certes, mais l’écart donne à réfléchir. Ce dont on ne se privera pas lors de la journée professionnelle (lundi 14 janvier), où les éditeurs et auteurs marocains et étrangers entrechoqueront leurs idées. Pourvu que la lumière en jaillisse !
Comme pour chaque édition, de nombreux débats, rencontres et lectures sont prévus (voir encadré). En vedette, l’Espagne, 400e anniversaire du preux chevalier errant, Don Quichotte, oblige. Au XIe SIEL, la littérature espagnole, sous toutes ses facettes, sous toutes ses coutures, dans toute sa richesse, tiendra le haut du pavé. Présentations de livres, lectures poétiques, hommages (dont l’un à Juan Goytisolo, mercredi 16 à 17h), tables rondes autour de notre ibérique voisin rythmeront cette édition, où la musique sera de la partie (flamenco avec Eva La Gierba Buena, vendredi 11, à 20h30, au cinéma Rialto ; musique médiévale espagnole avec Paniagua, samedi 12, à 20h30, au complexe culturel Sidi Belyout). Quand on vous dit que le SIEL recouvre ses airs de fête ! .

Après un bon démarrage, le SIEL a tourné à la braderie où s’exposaient ouvrages sectaires et vieux coucous mal fagotés. La XIe édition veut lui redonner des airs de fête.