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Culture

«Maroc Design», nouvelle vitrine pour les créateurs

Du 24 au 26 janvier, s’est tenue au Plein Ciel Paradise, à Casablanca, l’exposition «Maroc Design»,
impulsée et conçue par Maghreb Oxygène et «Maisons du Maroc». Son ambition ? L’espoir qu’à terme les entreprises seront sensibles à la beauté de l’objet créé et en feront usage, notamment le secteur hôtelier qui importe à grands frais des meubles sans cachet alors que le design marocain est si riche.

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En ce jour d’ouverture de l’exposition «Maroc Design», le Plein Ciel Paradise est en ébullition. Les visiteurs y affluent en nombre, picorent des yeux des objets offerts à voir, s’attardent sur d’autres, reviennent sur les premiers, n’hésitent pas à tâter, à caresser les meubles et même à s’y affaler, comme sur ce lit de jardin, admirablement dessiné par Sophia Tazi. Tout cela accompagné de soupirs de ravissement, aux effets réjouissants sur Maghreb Oxygène et Maisons du Maroc, les organisateurs de cette exhibition réussie.
Que Maisons du Maroc se soit impliquée dans cette exposition, cela tombe sous le sens puisqu’elle a vocation, entre autres, à montrer ce qui se fait en matière de décoration intérieure. Mais que Maghreb Oxygène, filiale d’Akwa spécialisée en corps fluides indéfiniment expansibles (dixit Le Robert), mette la main à la pâte, cela a de quoi étonner, penseraient les béotiens comme votre serviteur. Et c’est Fatima-Zahra Ammor, responsable marketing du groupe Akwa, prise en flagrant délit de contemplation d’un délicieux luminaire, qui va éclairer notre lanterne: «Maghreb Oxygène fabrique des gaz industriels, à savoir de l’oxygène et de l’acétylène. Autant d’éléments dont se servent les verriers, les céramistes et les ferronniers pour créer des objets artistiques». Et voilà établie la liaison organique de Maghreb Oxygène avec le design. On respire. L’idée de concocter un événement prestigieux conforme à l’activité de Maghreb Oxygène se fit pressante, il y a trois ans déjà. Tant et si bien qu’on songea à un trophée de l’artisan. Le projet ne recueillit pas l’adhésion unanime. Le souhait fut émis de monter d’un cran, en allant voir du côté des designers. Approuvé. De son côté, la revue Maisons du Maroc se trouvait en mal d’une manifestation rituelle à la hauteur de son lustre. Maghreb Oxygène et Maisons du Maroc prirent langue l’un avec l’autre, il y a un an. Le temps que cette conjonction soit scellée, que le projet ait mûri, et ils se mirent à l’ouvrage de concert.

Vingt-cinq designers en compétition
L’aventure démarra en trombe. L’exposition allait se dérouler dans six mois, et il ne fallait pas lambiner. Première phase : se mettre en rapport avec les designers. Ceux-ci se montrèrent enthousiastes. Ils sautèrent sur l’aubaine. «L’événement est d’envergure. Aussi, nombreux étaient les designers qui ont répondu à l’appel. Nous en escomptions une vingtaine à tout casser. Ils étaient plus d’une quarantaine à vouloir participer à l’exposition», se réjouit Mme Ammor. Il fallait ensuite trier sur le volet les créations proposées. Ce ne fut pas sans mal.
La commission était composée de six membres peu versés dans l’art du design. En plus, elle n’avait pas fixé de critères de sélection. «Nous avons évalué les œuvres selon les critères d’originalité, de fonctionnalité et de beauté. Mais il faut avouer que nous étions vraiment des profanes, et notre jugement, fait en notre âme et conscience, pouvait n’être pas toujours perspicace», rapporte Mme Ammor. Des profanes qui ont eu le nez creux, comme en témoigne la prodigieuse facture de Maroc Design. Vingt-six créateurs furent retenus, dont huit fonctionnant en tandem. Au final, ils ne seront plus que vingt-cinq. Ensuite, se posait la question du lieu de l’exposition. Elle ne fut pas aisée à résoudre. Il n’était pas question de s’implanter dans une galerie, vu l’exiguïté de ce genre d’espaces. Les autres lieux susceptibles d’abriter l’exposition étaient pénalisés en raison de leur aspect malcommode. Après avoir longuement tergiversé, Maroc Design choisit d’installer ses pénates dans le Plein Ciel Paradise. L’endroit, certes, n’est pas de nature à mettre en lumière des œuvres artistiques, mais il possède l’avantage d’être spacieux, agréable et extensible à souhait.
Quand bien même le talent d’organisation de Maisons du Maroc, Maroc Design, ce vieux rêve, n’aurait jamais eu lieu sans la contribution de Maghreb Oxygène. C’est lui qui apporta les fonds nécessaires et mit à la disposition de l’exposition ses équipes aguerries.

Un des desseins de la manifestation, inculquer une culture du design aux Marocains
En contrepartie de quels dividendes ? Aucun, précise Mme Ammor, sinon celui de faire de la manifestation, appelée à se dérouler annuellement, une vitrine de prestige. Aucun profit tangible, mais un vœu. «Par la tenue de cette exposition, nous espérons qu’à terme les entreprises vont être sensibles à la beauté des objets créés et en faire usage. Prenez le secteur hôtelier. Nous avons des hôtels fastueux, mais malheureusement meublés avec des meubles importés, fort coûteux et souvent impersonnels et fades. Alors que notre design est riche et original. Autant s’en servir. Notre dessein est de mettre en vive lumière notre artisanat et notre design, afin d’encourager les hôteliers, les propriétaires de résidences et les particuliers qui en ont les moyens à passer des commandes. Nos designers ne s’en porteront que mieux», souhaite Mme Ammor.
Le design n’est pas nouveau au Maroc. Il existe depuis belle lurette. Se nourrissant du patrimoine artisanal, avec ses textiles colorées, ses tapis ruraux aux couleurs vives, sa dinanderie, son fer découpé, sa faïence décorée, son bois sculpté, ses mosaïques zelliges, il a pris une couleur et une identité si prenantes. Las ! son marché essentiel demeurent le bureau, les magasins et la maison. Pas d’objets de grande diffusion à cause de la rareté des commandes publiques. C’est ce que déplore Geneviève Nouhaud, coordinatrice de Maroc Design : «Certes, il y a des designers au Maroc, mais il n’y pas de secteur du design. Parce qu’il n’y a pas de commandes publiques. Seulement des commandes privées. On le constate à travers cette exposition, dans laquelle prédominent le mobilier, les luminaires et les bijoux et, à un moindre degré, le textile. Cela signifie que l’industrie, la santé, les transports sont encore insensibles au design. Or, sans ces secteurs, jamais le design ne se développera». D’où la pertinence de Maroc Design, celle de permettre la rencontre des designers avec les éditeurs et les industriels, pour que les objets soient fabriqués en série et que les commandes pleuvent.
Il aurait suffi pour que les uns et les autres en fussent convaincus d’avoir musardé parmi les créations exposées. Là tout était audace, raffinement et fantaisie. Un véritable régal des yeux et des sens, dont on ne pouvait se repaître.
Quand Sophia Tazi vous invite à sortir le lit de jardin, vous êtes immédiatement touché par l’imagination florissante de la créatrice. Et ce «Projet carré» de Saïd Guihia, qui a métamorphosé le carré en cube pour obtenir des poufs, puis en parallélépipède, afin de lui conférer la fonction des piètements, quelle ingéniosité ! Les «Cube» et «H» de Zeinab et Oum El Ghaït El Fihri sont de vraies épures. Le grand et petit luminaires ciselés par Mounia Bernoussi sont tout simplement lumineux. Jamil Bennani, dont on connaissait le savoir-faire, nous étonne encore par son applique murale, sa table à thé, sa table à manger, sa chaise, son bar et sa console luminaire, du meilleur effet. Luc Baille, avec ses bagues, son bracelet, son colllier et sa bourse de jeu, réalisés en argent fin et sertis de corail rouge, force l’admiration. Quant au «Miroir narcissique pour couple», composé par Mutsuko Sato, il nous donne envie de traverser le miroir. Nous aurions aimé vous accompagner plus encore dans cette exposition, pour vous en faire savourer tout l’éclat, toute la brillance. Mais voilà, le rideau est tombé. Nous en sortons la tête dans les étoiles.

«Certes, il y a des designers au Maroc, mais il n’y a pas de secteur du design. Parce qu’il n’y a pas de commandes publiques. On le constate à travers l’exposition, dans laquelle prédominent le mobilier, les luminaires, les bijoux. Cela signifie que l’industrie, la santé, les transports sont encore insensibles au design. Or, sans ces secteurs, jamais le design ne se développera».

Des projets séduisants par leurs fonctions modulables : «Projet carré», de Saïd Guihia (en haut) et «Lumière», de Meryem Benzidane.