Société
Trois jours dans une famille japonaise
Très organisés et très actifs, les Japonais sont obnubilés par le temps.
Exiguës, leurs maisons se caractérisent par un confort alliant simplicité des matériaux et sophistication technologique.
Réveil à l’aube, sport, bain, …un mode de vie bien particulier.
Comme partout ailleurs, il existe des clichés sur les mœurs en pays arabe, notamment en ce qui concerne… la polygamie.

De tout mon séjour au Japon, en juillet dernier, qui aura duré 21 jours au total, c’est l’expérience du «home stay» qui m’a le plus impressionné. Il est vrai que tout au long du voyage, j’ai été en contact permanent avec plus de 100 jeunes Japonais de toutes les classes sociales. Je devais participer, en effet, pendant trois semaines, à la conférence internationale de la jeunesse, mais c’est grâce au «séjour chez l’habitant» que j’ai pu vraiment vivre au rythme nippon et côtoyer, le temps d’un week-end, une famille traditionnelle et découvrir ses particularités.
Ma famille d’accueil était composée de quatre membres. Le père, Kouji Fukui, 56 ans, est ingénieur de son état. La mère, 57 ans, s’appelle Takako. Takayo, la fille, elle, a 28 ans et travaille depuis cinq ans dans une société de transport à Osaka. Enfin, le cadet de la famille, qui termine ses études universitaires à Kyoto.
Quand ils sont passés me prendre à l’hôtel, j’avais quelques appréhensions. Je voulais juste que le séjour se termine sans problème, tant le comité d’organisation nous avait «bombardés» de consignes. Je craignais en outre que leur anglais, a priori limité, ne favorise pas vraiment la communication. Quelle ne fut ma surprise quand Takayo a sorti la première fois – puis par la suite, chaque fois qu’on butait sur un terme – une sorte de dictionnaire illustré qui traduisait le japonais non pas en arabe classique mais, tenez-vous bien… en dialecte marocain. Je suis resté ébahi devant tant d’attentions destinées à faciliter mon séjour.
La famille Fukui habite à Sakai City, dans la banlieue d’Osaka, la deuxième plus grande ville du Japon. C’est une ville-dortoir qui se vide de ses habitants pendant la journée pour les retrouver le soir. Quoique, au Japon, on travaille 24 h/24.
Chez les Fukui, j’ai pu apprécier l’architecture et la sacralité de l’intérieur japonais. Au pays du Soleil Levant, l’intérieur et l’extérieur des maisons sont en effet strictement séparés. A l’entrée, on trouve toujours un emplacement spécialement aménagé pour y placer ses chaussures. Avant d’accéder à la demeure, on remplace les chaussures par des sandales que l’on peut utiliser partout à l’intérieur sauf sur le tatami.
Le tatami, c’est ce matelas de paille de riz battue et compressée recouvert d’une natte en fibre végétale tissée. D’un format standardisé (1,8 m sur 0,9 m), il est posé à même le sol et sert d’unité de mesure de la superficie d’une chambre. Ainsi, on dit d’une pièce qu’elle peut héberger tant de tatamis. C’est sur ce même tatami qu’était installé mon «lit» japonais. Un futon composé d’un matelas recouvert d’un édredon. On évite habituellement de l’exposer à la lumière du soleil pour qu’il reste sec et frais. Et il l’était effectivement.
Remarque importante, le temps est primordial pour les Japonais. Où que vous soyez, vous trouverez une horloge, murale ou simple bibelot. Il suffit de lever les yeux pour en découvrir une et mes hôtes se préoccupaient constamment de savoir l’heure qu’il était.
Toutes les pièces sont modulables à volonté
La maison de ma famille d’accueil se caractérise par son exiguïté, sa conception modulaire et son utilisation fonctionnelle de l’espace intérieur. A l’image des maisons japonaises traditionnelles, elle se caractérise aussi par des jeux d’ombre et de lumière, des matériaux sobres (bois, papier et paille de riz) et des couleurs discrètes.
Les murs se réduisent à de simples cloisons mobiles ou même amovibles. Les cadres de bois tendus de papier translucide (shôji) ou panneaux et portes à glissières opaques (fusuma) permettent de moduler rapidement l’espace d’habitation, selon les besoins. Certaines pièces peuvent aussi être divisées à l’aide de paravents. Ces écrans mobiles ont depuis toujours fourni un excellent support aux peintres japonais. On trouve très souvent des tableaux sur fond or qui permettent en outre de réfléchir la lumière et d’égayer l’intérieur.
On entre dans la baignoire pour se relaxer, non pour se laver
Grâce aux cloisons mobiles, la maison est largement ouverte sur l’extérieur. A partir de ma chambre, je pouvais accéder à une terrasse qui constituait un lieu de détente en contact immédiat avec la nature environnante. Elle donnait sur le jardin verdoyant qui voulait restituer, à échelle réduite, la beauté d’un site naturel. Le propriétaire s’était d’ailleurs évertué à y cultiver des bonsaïs, ces fameux arbres miniatures, qui font sa fierté, même s’ils l’empêchent de quitter sa demeure pendant plus d’une journée, tant ils exigent de soins.
Aussitôt installé dans ma chambre, mes hôtes m’ont proposé de prendre un bain. Je ne savais pas jusque-là à quoi ressemblait une salle de bains japonaise, mais on ne tarda pas à m’éclairer sur la question.
La salle de bains typique est composée de deux pièces. D’abord une antichambre équipée d’un lavabo. C’est là que vous vous déshabillez avant d’accéder à la salle de bain proprement dite qui, elle, est équipée d’une douche et d’une baignoire. J’avais reçu des consignes de la part des organisateurs quant à la manière de prendre un bain à la japonaise. Ma famille d’accueil m’a rappelé les règles encore une fois avant de me proposer de me laver. Il faut d’abord nettoyer son corps à l’extérieur de la baignoire avec du savon. Ensuite, vous entrez dans la baignoire qui doit être utilisée seulement pour se relaxer. L’eau y est très chaude et il faut éviter de trop remuer à l’intérieur, le déplacement la rendant encore plus brûlante. Il ne faut pas non plus utiliser de savon car tous les membres de la famille se serviront de la même eau.
Le lendemain, je revis la même scène dans un sento, ou bain public. Comme nous, les Japonais apprécient particulièrement cet espace à la fois de toilette corporelle et de rencontre avec les voisins. Même si la plupart des maisons sont équipées d’une baignoire privée, les Japonais ont gardé cette habitude de se rendre au hot spring. Aujourd’hui, les bains sont devenus tellement sophistiqués qu’ils proposent toute une gamme de bassins (électrique, à ciel ouvert, à eau brûlante, glacée, salée…) et de saunas.
Mais, revenons aux Fukui. Au Japon, les toilettes sont d’habitude placées dans une troisième pièce, séparée de la salle de bains. Et c’était le cas chez mes hôtes. Une petite pièce, mais à la technologie avancée. Sur le côté droit de la cuvette, plusieurs boutons servent, selon que vous soyez un monsieur ou une dame, à actionner des jets d’eau afin de faire votre toilette intime. Vous pouvez bien entendu régler le débit et la température de l’eau…
J’avais vu ce genre de toilettes à l’hôtel. Je croyais qu’elles étaient un produit de luxe, mais il semble que ce ne soit pas le cas. Pour cette famille, qui se réclame de la classe moyenne, le confort commence déjà au niveau des toilettes.
Dès notre première rencontre, le chef de famille a dressé le programme du week-end. Tout s’est déroulé comme prévu, sauf le premier jour, quand… je me suis réveillé plus tard que prévu. Mes hôtes en étaient d’ailleurs très étonnés, eux qui se réveillent d’habitude à l’aube. Mon programme incluait, entre autres, des visites de temples, de musées et du marché aux poissons, une initiation à la danse japonaise chez Wakayagi-Miyuki, une célébressime vedette nationale (photo du haut) et un déjeuner chez la grand-mère, âgée de 78 ans, mais à la santé impeccable et à la générosité confondante.
M. Fukui père était très curieux. Il posait des questions sur tout. Il voulait tout savoir sur le Maroc. Il n’en connaissait presque rien si ce n’est le fait qu’il soit l’un des principaux fournisseurs de poulpe du Japon. D’ailleurs, plus tard, au marché aux poissons, il me présentait fièrement aux marchands de crevettes et autres céphalopodes comme étant originaire du Maroc.
Il m’a posé beaucoup de questions sur la structure sociale du pays, le système éducatif, la santé, l’économie, le tourisme… Et quand il a su que j’allais me marier incessamment, il profita de la confidence pour m’interroger sur mon salaire, mes charges, la cérémonie de mariage, les invités, les coûts… Détail amusant : la plupart des Japonais que j’ai rencontrés m’ont demandé si j’allais me contenter d’une seule femme ou en épouser quatre, «comme tous les Arabes». Cela m’a permis, chaque fois, de rectifier ces clichés et d’expliquer le nouveau code de la famille et la réalité sur le terrain, au Maroc.
Le travail et l’entreprise font partie de la discussion de chaque instant
Nos discussions ont concerné pratiquement tous les sujets et mes hôtes n’hésitaient pas à utiliser papier et crayon pour se faire comprendre. Longues discussions, mais pas au point de dépasser l’heure d’aller au lit. A minuit précise, on éteignait les lumières. C’est que le chef de famille était très organisé. Avec un emploi du temps remarquablement chargé, il trouvait tout de même le temps de faire du sport. Activité quotidienne, c’est elle qui lui permet de se maintenir en forme et d’évacuer le stress quotidien. Un stress qui n’en est pas vraiment un pour lui. Il est, comme la plupart des Japonais, un bourreau de travail. Il ne rechigne jamais devant une tâche et bien sûr son entreprise passe avant tout. C’est sacré et cela se manifeste à chaque adjectif employé, geste ou commentaire fait sur les produits de la firme, la qualité des directeurs, l’importance de la hiérarchie et l’adhésion aux stratégies adoptées par sa société.
Pendant les trois jours, les repas préparés et servis avec beaucoup de soin par la maîtresse de maison ne se ressemblaient pas. Ils se composaient pour la plupart de trois à cinq plats à base de légumes, de poissons et de fruits de mer, rarement de viande, aliment dont la consommation est proscrite par le bouddhisme (mais qui reste relativement répandu dans les villes). Les plats étaient servis en même temps. Assortiment de poissons crus en tranches (sushimi), des grillades (yakimono), des fritures (tempura et agemono), des plats en sauce de soja (nimono) ou cuits à la vapeur (mushimono). Bien évidemment, à ces mets s’ajoutent invariablement un bol de riz cuit, une soupe claire (suimono) et des condiments.
Mes hôtes apprécient particulièrement mes «itadaki-masu» avant de commencer à manger et «gochiso-samadeshita» à la fin. Ils sont l’équivalent de bismillah et hamdulillah chez nous, mais au Japon, ce sont des remerciements qui s’adressent à la personne qui vous a préparé le repas. Ma famille d’accueil me servait, avec beaucoup de fierté, des pastèques et du melon. Fruits très chers au Japon, au point qu’on les offre en cadeau. D’ailleurs, on ne les achète pas n’importe où.
Autre caractéritique, cette fois-ci valable pour tout le pays : au Japon on peut pratiquement tout acheter dans les distributeurs automatiques. A côté des boissons en tout genre, ces derniers proposent également tickets de transport, timbres, sandwiches, cartes téléphoniques et même des fleurs. On en trouve partout, dans les rues, les gares, les hôtels et même dans les bains publics. Ils font partie intégrante de la vie quotidienne des Japonais et c’est grâce à l’excellent niveau de sécurité qu’on peut les installer sans crainte à l’extérieur. Au japon, il existe plus de 5,5 millions de vending machines, qui réalisent un chiffre d’affaires annuel de près de 7 000 milliards de yen, ou encore, tenez-vous bien, 560 milliards de dirhams ! Autant que les magasins «conventionnels»
Notre collègue Ouadie Drissi El Bouzaïdi (à droite) dans sa famille d’accueil. Dîner et discussions interminables. Kouji Fukui, le chef de famille, voulait tout savoir sur ce Maroc dont il ne connaissait que… le poulpe vendu au marché.
Quelle ne fut ma surprise quand Takayo a sorti, la première fois qu’on a buté sur un terme – et par la suite, chaque fois que c’était nécessaire -, une sorte de dictionnaire illustré qui traduisait, le japonais, non pas en arabe classique, mais… en dialecte marocain.
Je suis resté ébahi devant tant d’attentions destinées à faciliter mon séjour…
