Société
Pourquoi les élèves porteront l’uniforme à l’école
Une circulaire du ministère de l’Education diffusée en septembre
2003 entend faire appliquer un règlement relatif au port de l’uniforme
dès la prochaine rentrée scolaire.
A Casablanca, certains établissements l’on imposé dès
septembre 2003.
Entre ses tenants, qui le jugent démocratique, et ses détracteurs,
qui l’estiment discriminatoire car ne concernant que les écoles publiques,
le débat promet d’être vif.

L’uniforme scolaire n’a jamais été ancré dans les habitudes de l’école marocaine. Depuis toujours, les élèves du primaire et du secondaire portent uniquement le tablier. Celui-ci était exigé dans tout le Maroc, d’une façon plus ou moins stricte selon l’établissement et le sexe – incontournable pour les filles, beaucoup moins pour les garçons. A Casablanca ou à Rabat, pour ne prendre que ces deux grandes villes, on identifiait le collège ou le lycée à la couleur de la blouse – blanche, rose, bleue, grise, ou beige – que portaient ses élèves. Quant à l’uniforme scolaire, bien qu’il existe depuis les années 1950 et perdure jusqu’à nos jours dans certaines régions du nord du Maroc – la ville de Tétouan est souvent citée -, il n’a jamais fait figure d’usage vestimentaire de l’école marocaine.
Depuis la rentrée scolaire 2003-2004, le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse (MENJ) en a décidé autrement. Il entend désormais l’exiger et le généraliser à tous les établissements scolaires. La décision remonte en fait au 10 juillet 2003 et, en septembre de cette année, les directeurs des Académies régionales d’éducation et de formation, les inspecteurs et chefs d’établissements primaires et secondaires ont reçu une circulaire dans ce sens, diffusée par le ministère sous l’intitulé «Exploitation de l’espace des établissements scolaires». La circulaire conviait les chefs d’établissements à mener des campagnes régulières de propreté au sein des écoles, à embellir leurs façades intérieures et extérieures par l’affichage de citations empruntées aux chartes internationales, reprenant des événements nationaux historiques incitant aux bonnes mœurs, à l’enracinement des valeurs de citoyenneté, de tolérance, de solidarité et d’ouverture (…). Elle les invite aussi à «la généralisation d’une tenue convenable, uniforme pour tous les élèves, filles et garçons».
Avec l’uniforme, «la frime disparaît et il ne reste que la coiffure pour se démarquer»
La recommandation n’est pas restée lettre morte. Nombreux ont été les chefs d’établissement à distribuer aux élèves un questionnaire en les invitant à cocher le type et la couleur de l’uniforme qu’ils souhaitent porter. Plus téméraires, certains collèges à Casablanca ont réussi à imposer l’uniforme à leurs élèves dès cette année. Renseignement pris, nous nous rendons au collège Khenata Bent Bekkar, établissement de quelque 750 élèves filles, collège pilote, nous a-t-on informé, qui a réussi à vaincre toutes les résistances pour faire admettre la règle. Nous rendant sur les lieux pour vérifier l’information, nous avons eu la surprise de constater qu’effectivement, déambulant par grappes devant le portail de leur collège, les collégiennes arboraient pantalon et veste noirs, cravate de même couleur sur une chemise blanche. Comment ces adolescentes, génération Star Academy et hip-hop, se sentent-elles dans cet accoutrement ? «On a l’air de clowns», commente tout de go une adolescente de 14 ans. «J’aurais préféré le tablier. Ça m’aurait permis de m’habiller comme je veux, de me démarquer des autres et d’exprimer ma personnalité comme je le souhaite», rétorque une blondinette du même âge. «Moi, je suis pour l’uniforme, les disparités sociales s’estompent et la frime disparaît et l’on se sent toutes égales. On a encore la couleur de notre peau et notre coiffure pour nous démarquer», renchérit une troisième. Les avis divergent. Si l’expérience semble réussir dans cet établissement, c’est grâce «à notre fermeté et à une surveillance tatillonne quotidienne de notre part», nous assure la surveillante générale du collège.
La même expérience a réussi au collège Annasr (mixte) et au collège Rabéa Al Adaouiya, où les élèves ont choisi un costume bleu marine et une cravate rouge sur chemise bleu ciel. Au quartier Sidi Moumen, de triste mémoire pour avoir «fourni» la plupart des kamikazes du 16 mai, l’expérience du port de l’uniforme scolaire semble plaire aux élèves du Collège Anassi qui accueille aussi bien les enfants issus de l’habitat social que ceux des bidonvilles avoisinants. L’uniforme finit par s’imposer dans ce collège «grâce au travail de sensibilisation entrepris avec les parents et quelques composantes de la société civile», indique Nassreddine Lhafi, directeur de l’Académie régionale d’éducation et de formation de Casablanca. Et d’ajouter : «Nous ne voulons imposer ni la couleur ni le type d’uniforme. Ce que nous cherchons surtout, c’est de laisser le soin du choix de l’uniforme au conseil de gestion de l’établissement, en concertation avec les élèves». Rappelons que ce conseil est composé d’enseignants élus par leurs pairs, du président de l’association des parents d’élèves, d’un représentant de la commune, l’instance qui participe à la gestion de l’établissement à côté et sous le contrôle du chef de l’établissement.
Depuis la rentrée de septembre dernier, l’uniforme est admis au collège Anassi : les garçons portent une chemise blanche, un gilet gris et un pantalon bleu, les filles une jupe, un gilet bleu et une chemise blanche. «L’année prochaine nous allons essayer de le généraliser à tous les établissements casablancais, mais sans brusquer les choses. Il faut trouver les moyens de ne pas grever la bourse des parents d’une autre charge ; nous cherchons à signer des partenariats avec des associations de la société civile et des sociétés qui puissent financer». Le coût de l’uniforme n’est effectivement pas négligeable, l’ensemble ne coûtant pas moins de 250 DH, qu’il faut multiplier par deux puisque l’élève doit avoir au moins deux tenues pour pouvoir se changer. Pour peu que les parents aient trois ou quatre enfants en âge d’aller à l’école… il est facile de faire le calcul.
L’uniforme, un moyen détourné d’interdire les signes «d’appartenance idéologique» ?
On peut se demander quelles étaient les arrière-pensées du MENJ lorsqu’il a pris une telle décision ? Et pourquoi cherche-t-il à l’introduire exclusivement au sein des écoles publiques (la circulaire ne fait en effet aucune allusion à l’école privée)? A en croire les responsables des académies régionales, l’objectif serait d’éviter toute discrimination entre les rejetons de famille aisée, qui arboreraient des vêtements de marque, et ceux issus de milieux modestes ou démunis. Mais l’explication semble un peu courte. Les disparités sociales sont en effet peu signifiantes au sein de l’école publique marocaine. Par contre, si l’on veut assister à des défilés de mode et à une concurrence vestimentaire à outrance avec exhibition de GSM dernier cri et autres gadgets, il suffit de faire un petit tour du côté des écoles privées.
Y aurait-il des non-dits dans la circulaire ? Par cette décision le gouvernement marocain ne cherche-t-il pas, d’une façon détournée, à interdire certains «signes religieux ostentatoires» arborés dans les écoles par quelques élèves gagnés à la cause intégriste, comme ce fut le cas sous d’autres cieux où le débat sur la question du port du foulard a fait rage ? Tijaniya Fertat, directrice de l’Académie régionale de Rabat en convient: «L’école marocaine est méconnaissable, il y en a pour tous les goûts ; l’habit afghan, les pieds enfilés dans des sandales et les têtes coiffées de taguiya, sans parler de la barbe, rivalisent avec le khimar. A mon avis la philosophie de la circulaire n’est pas exactement l’uniforme scolaire. Le seul port du tablier est une façon d’uniformiser le comportement vestimentaire dans les écoles et de donner le sentiment d’appartenir à un même univers, plus égalitaire, élèves comme enseignants.»
Le débat n’est pas typiquement marocain. Dans de nombreux pays européens à fortes communautés musulmanes, la question du port de l’uniforme scolaire a fait réagir sociologues et hommes de lettres.
S’exprimant sur la question dans les colonnes d’un magazine français, Wole Soyinka, dramaturge et poète nigérian, premier africain à avoir décroché le prestigieux prix Nobel de littérature, avait écrit notamment : «Je fais mienne toute politique visant à créer un sentiment maximal d’identité commune dans les établissements scolaires publics. L’uniforme scolaire vise à créer un sentiment de solidarité au sein d’un groupe défini exclusivement par l’âge et la faculté d’apprentissage. Il s’agit pour l’enfant d’un moment privilégié de sa vie où il peut voir en l’autre un être humain et un égal.»
L’uniforme ? «une question qui s’inscrit dans la gestion de l’inutile»
Soumaya Naâmane Guessous, sociologue, est scandalisée par ce raisonnement et par l’idée même du port de l’uniforme scolaire : «C’est une question qui s’inscrit dans la gestion de l’inutile», martèle-t-elle.«Je m’attendais à des réformes de fond en comble de l’enseignement primaire et secondaire, au lieu de quoi on nous parle de l’uniforme scolaire ; c’est de la poudre aux yeux. C’est encore plus grave si l’école privée n’est pas concernée par le port de l’uniforme. Il y a déjà de grosses disparités au niveau de la formation des enseignants du public et du privé et là, nous allons créer un autre fossé : des jeunes de l’école publique qui déambulent dans la rue avec un uniforme alors que les privilégiés de l’enseignement privé vont continuer à s’épanouir, comme ils l’entendent, dans leur corps. Pour moi, la blouse ou l’uniforme sont exactement comme les murs de la honte avec lesquels on a entouré les bidonvilles pour cacher la misère du Maroc, c’est une mascarade.»
Le sujet n’est pas encore épuisé, certains pédagogues appellent le ministère de tutelle à organiser un colloque national pour débattre et de la pédagogie et du contenu du savoir dispensé à nos enfants. On peut donc, encore une fois, affirmer que l’habit ne fait pas le moine
