Pouvoirs
La création d’un Conseil supérieur des MRE est inéluctable
Les Marocains de l’étranger ont été privés de
l’exercice de leurs droits aux dernières législatives… Des
associations ont porté l’affaire devant la Cour suprême. Celle-ci
se prononcera incessamment.
Un Conseil supérieur des MRE, démocratiquement élu, serait
la solution idoine pour résoudre les problèmes touchant à
la représentativit&eacut;.

Professeur d’économie à l’Université Mohammed V-Agdal, ancien membre du comité central du PPS, Abdelkrim Belguendouz est devenu, au fil des années, une autorité en matière d’émigration marocaine à l’étranger. Partant de l’arrêt de la Chambre administrative de la Cour suprême sur l’ouverture des inscriptions sur les listes électorales pour les MRE, M. Belguendouz décline les formules institutionnelles envisageables pour la représentation des Marocains de l’étranger. Celle qui a ses faveurs est le Conseil supérieur des Marocains de l’étranger, à l’image de ce qui se fait dans de nombreux pays comme la France, l’Italie, le Sénégal.
La Vie éco : Privés de l’exercice de leur droit de participation aux dernières législatives, les MRE ont, à travers leurs associations, porté l’affaire devant la Justice. Quel a été le contenu de leur requête ?
Abdelkrim Belguendouz : Lors des élections législatives du 27 septembre 2002, les MRE ont été non seulement oubliés, mais volontairement exclus du processus électoral. Ils ont été ainsi privés par le gouvernement d’alternance consensuelle du statut de citoyens marocains à part entière en dépit des engagements pris au plus haut niveau de l’Etat, et notamment le discours royal du 20 août 2001 où avait été avancée par le Souverain l’idée de la nécessité d’une participation de la communauté marocaine à l’étranger aux institutions nationales. Il en est de même du discours royal du 20 août 2002, affirmant la volonté solennelle de faire jouer aux Marocains résidents à l’étranger un rôle actif et efficace dans tous les domaines de la vie nationale.
Cette exclusion a poussé deux collectifs d’associations en France, le Conseil de l’Union des associations des professions libérales (regroupant 22 associations) et le Collectif des Marocains de l’Ile-de-France (regroupant 126 associations), à assigner le Premier ministre (Abderrahmane Youssoufi) devant la Cour suprême. Une assignation faite au motif que ce dernier, en tant que premier responsable de l’Administration, n’a pas organisé les élections législatives de façon que tous les Marocains puissent y participer.
La Chambre administrative de la Cour suprême s’était donc réunie le 26 septembre 2002, soit un jour avant la tenue du scrutin législatif.
Ce qu’il faut relever, c’est qu’elle ne s’est pas déclarée incompétente, mais a opposé aux associations plaignantes le fait qu’elles n’avaient pas produit des originaux dans leur dossier de requête, mais des fax. Elle a donc conclu que la requête devait être à nouveau présentée. Chose faite. Maintenant, l’arrêt de la Cour suprême dans cette affaire est imminent.
Quelles seraient les conséquences de l’arrêt de la Chambre administrative de la Cour suprême ?
Sans interférer dans le pouvoir d’interprétation de la Cour, tous les arguments militent en faveur d’une réponse positive à la requête des associations de l’émigration : c’est-à-dire la réouverture de l’inscription sur les listes électorales pour les Marocains de l’étranger. D’ailleurs, après la décision royale d’abaisser l’âge du vote à 18 ans, ces listes auraient dû être automatiquement ouvertes à l’étranger également, pour permettre à tous les jeunes qui ont atteint l’âge de vote de s’inscrire.
Évidemment, la réouverture des listes n’est pas l’objectif ultime. Il faudrait plutôt réparer l’injustice dont ont été victimes les Marocains de l’étranger, à savoir leur exclusion des institutions représentatives nationales. Le gouvernement devrait alors en tirer les enseignements qui s’imposent.
Par exemple ?
Il pourra présenter au Parlement, à titre exceptionnel, une loi organique déterminant les nouvelles circonscriptions législatives à l’étranger (dans les pays d’accueil des Marocains), en tirant les enseignements de l’expérience de 1984-1992. Dans cette expérience, il y avait cinq circonscriptions législatives (Paris, Lyon, Bruxelles, Madrid et Tunis). Aujourd’hui, la communauté marocaine ayant augmenté en nombre et les pays d’accueil s’étant diversifiés, on pourrait aller jusqu’à dix ou douze circonscriptions. Ainsi on aura dix à douze députés de plus, qui représenteront les Marocains de l’étranger.
Cette loi organique votée par le Parlement offrirait la possibilité d’organiser de manière exceptionnelle des élections partielles à l’étranger qui rétabliraient ainsi les MRE dans leur citoyenneté à part entière.
Autrement, il faudra patienter jusqu’aux prochaines élections législatives, ce qui reviendrait à reporter la résolution de ce problème aux calendes grecques.
Paradoxalement, on se retrouve avec ce problème sur les bras, aujourd’hui, alors qu’une solution avait été appliquée au cours des années 1980…
En 1994-1995, lorsqu’on parlait de la possibilité d’une alternance consensuelle, les partis de la Koutla avaient, dans le cadre d’un mémorandum de réformes présenté à feu S. M. Hassan II, préconisé la représentation des Marocains de l’étranger au sein de la Chambre des Conseillers qui allait être créée. Finalement, les propositions de ce mémorandum n’avaient pas été prises en considération dans le cadre de la préparation de la Constitution du 13 septembre 1996. Alors que, paradoxe !, la communauté marocaine à l’étranger avait participé au référendum constitutionnel.
Aujourd’hui, les choses se sont compliquées.
Si au niveau de la Chambre des Représentants, une loi organique suffit, une représentation des MRE à la Chambre des Conseillers nécessiterait une réforme constitutionnelle puisque l’article 38 de la Constitution prévoit seulement trois collèges électoraux pour son élection (les conseillers des collectivités locales, ceux des chambres professionnelles et les représentants des salariés). Or, la réforme constitutionnelle est une procédure lourde, coûteuse, qui exige du temps et un véritable consensus.
Il faudra donc rajouter les Marocains de l’étranger comme quatrième collège électoral de cette chambre, si l’on veut les y représenter. Mais un problème supplémentaire se pose. La Chambre des Conseillers est élue, contrairement à la Chambre des Représentants, au suffrage indirect, par de grands électeurs.
Comment alors avoir des MRE conseillers ?
Ce qui pourrait permettre cette représentation indirecte serait la création d’un collège électoral qui ne pourrait être qu’un Conseil supérieur des Marocains résidents à l’étranger, dont les membres ne seraient pas cooptés ou nommés, mais démocratiquement élus.
Ce Conseil pourrait être ce relais institutionnel. À titre de comparaison, le Conseil supérieur des Français de l’étranger élit en son sein douze personnes qui siègent au Sénat comme membres à part entière.
Comment se fera l’élection de ce Conseil supérieur des Marocains de l’étranger ? Qui votera et dans quelles circonscriptions ?
Ce conseil peut être élu sur la base des listes électorales tenues au niveau des circonscriptions consulaires. De la même manière qu’on fait tout, à l’intérieur du pays, pour que l’administration marocaine organise les élections dans un esprit de transparence, de crédibilité et de neutralité positive, cette administration peut faire la même chose à l’extérieur, avec le concours, la participation et l’adhésion des associations concernées.
Il va de soi que le nombre des représentants doit être proportionnel au nombre des Marocaines et Marocains en âge de voter dans chaque circonscription. La formule est réaliste et faisable, moyennant, bien entendu, des efforts sur le plan organisationnel.
Reste le problème de la relation entre ce conseil et la myriade d’associations marocaines à l’étranger ?
L’élection de ce conseil, organisée dans des conditions démocratiques, pourra résoudre un problème jamais tranché jusque-là. On est à l’heure actuelle face à un foisonnement d’associations (de femmes, de jeunes, de cités, de mosquées, d’investisseurs, de professions libérales, d’intellectuels, de droits de l’homme…). Très souvent, l’administration marocaine invoque le fait que la communauté marocaine à l’étranger n’est pas organisée et de ce fait, n’a pas en face d’elle un interlocuteur représentatif.
De l’autre côté, il y a des associations qui fournissent des efforts en matière d’organisation, d’action sur le terrain, de présence en réseau non seulement à l’échelle du pays d’accueil, mais même dans plusieurs pays d’accueil. Mais elles tombent souvent dans un travers classique : au lieu de se considérer comme un interlocuteur parmi d’autres, certaines d’entre elles s’autoproclament et s’estiment être le porte-parole unique de la communauté.
Dans ces conditions, la meilleure manière de résoudre ces problèmes et de les dépasser, est d’organiser des élections démocratiques, de telle sorte que la représentativité réelle de ces associations soit validée par les urnes.
Comment ce conseil se positionnerait-il par rapport aux institutions et fondations déjà existantes ?
Ce conseil pourrait résoudre, de manière indirecte, la question de la représentation de la communauté auprès de tous les organismes et institutions à caractère économique, social ou culturel s’intéressant à cette communauté.
C’est ce conseil qui choisira en son sein des représentants auprès d’institutions comme Bank Al Amal, la CNSS (pour le problème des transferts sociaux), le Conseil économique et social (si jamais il voit le jour puisqu’il fait double emploi avec la deuxième Chambre), le Conseil consultatif des droits de l’Homme (dans le cadre d’un futur renouvellement)…
Il en est de même de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidents à l’étranger, qui existe depuis le début des années 1990. Mais cela nécessite dans ce cas une révision de la loi N°19-89 instituant cette fondation afin d’actualiser et de démocratiser la composition de son comité directeur (qui ne s’est pas réuni depuis trois ans), qui ne prévoit comme représentation de la communauté que les présidents des fameuses amicales. Or, tout le monde connaît les problèmes que connaissent ces structures…
Quelle serait la mission d’un Conseil supérieur des Marocains de l’étranger ?
En supposant même que la communauté ne soit pas représentée à la seconde Chambre, ce conseil est nécessaire à plusieurs titres.
Premièrement, il pourra constituer un cadre de dialogue et de concertation pour tout ce qui touche aux affaires des Marocains résidents à l’étranger. Il sera ainsi le porte-parole de la communauté marocaine auprès des ministères, des organismes publics et parapublics et des représentations diplomatiques et consulaires à l’étranger.
Deuxièmement, il pourra contribuer à l’élaboration d’une politique publique de protection et de défense des MRE. Troisièmement, il pourra participer à la maximisation de l’apport financier et du savoir-faire de la communauté marocaine au pays. Objectif : concourir au progrès et au développement économique, social et culturel du Maroc.
Ce serait enfin l’occasion donnée à cette communauté de prendre part aux débats nationaux sur les grands choix de société de notre pays. Globalement, ce conseil sera l’interlocuteur de l’administration pour tout ce qui touche à la communauté marocaine à l’étranger.
Enfin, vous savez qu’il a été décidé de faire du 10 août une journée nationale de l’émigré. Cette année, elle sera consacrée à l’investissement sous l’angle de la participation des Marocains de l’étranger au développement de leurs régions d’origine. Je souhaiterais, pour ma part, que parallèlement à cela, cette journée soit également l’occasion d’annoncer des mesures fortes et, pourquoi pas, l’expression de la volonté politique de mettre en place ce Conseil supérieur des Marocains résidant à l’étranger
