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Idées

Plaidoyer pour l’Islam 2 – Une religion du juste milieu

L’acception actuelle du «jihad» – lutte armée contre
l’ennemi – est dépassée historiquement
et le vrai jihad, c’est la lutte que le musulman doit mener contre lui-même
en vue de se parfaire et de se rapprocher du modèle prophétique.
Le soufisme, dimension spirituelle de l’islam, permet de mener ce combat
contre soi-même.

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Le premier Etat musulman organisé a été édifié à Médine, en Arabie, par le Prophète lui-même. Depuis lors, les pouvoirs publics se sont efforcés d’asseoir leur légitimité sur les préceptes de l’islam; les mouvements d’opposition cherchèrent également, afin d’affermir leur légitimité, à se présenter comme meilleurs défenseurs de la foi. Les sociétés musulmanes furent ainsi pluralistes avant l’heure, bien qu’elles aient eu, comme tout groupement humain, leurs propres contradictions. Et tout au long de l’histoire islamique, le spirituel et le temporel ont fait bon ménage.
Le philosophe allemand Hegel a avancé qu’il existait, même dans le christianisme, une grande interpénétration entre le spirituel et le temporel. Bien plus, il s’agit en fait «de déterminer ce qui est à César, c’est-à-dire ce qui appartient au gouvernement dans le monde ; et l’on connaît trop bien tout ce que le gouvernement s’est arrogé en plein arbitraire, comme l’a fait, de son côté, le gouvernement spirituel» (In Le fondement religieux de l’Etat, Friedrich Hegel).
Ce dernier n’a pas d’équivalent en islam, et tous les musulmans sont égaux devant la Charia, qui constitue le cadre légal dont le respect assure à la fois le cheminement spirituel des individus et l’équilibre des rapports sociaux qui les relient.
De plus, si la Charia régit les activités humaines les plus diverses, c’est pour en faire des occupations qui rapprochent les hommes de leur Créateur. Ce qui n’est pas du tout antinomique d’un niveau de vie décent, de l’accumulation de la richesse lorsque celle-ci est acquise de manière licite, comme Dieu le recommande à son Prophète : «Dis : qui donc interdit les parures que Dieu a faites pour ses serviteurs et le régal qu’il leur donne ? Dis : ces biens sont aux croyants dès cette vie et ne seront qu’à eux le jour de la résurrection», Coran (32/VII), jour qui ne fait, en réalité, que marquer le début du retour de l’homme à l’éternité, laquelle constitue, comme le souligne Seyyed Hossein Nasr, «la demeure originelle de l’âme, demeure perdue que l’âme cherche partout dans son exil terrestre» (In La connaissance et le sacré, Seyyed Hossein Nasr, 1999).

«Obéissez à Dieu… au messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement»

Dans cet exil, l’homme peut s’adonner à ses plaisirs et satisfaire ses penchants, sans scrupules, comme il peut renoncer à toute activité sociale et fuir, ce faisant, les responsabilités qui sont les siennes. L’islam, religion du juste milieu, l’appelle au contraire à vivre pleinement sa vie tout en se préparant au Jugement dernier.
Et pour que les musulmans puissent mener une vie paisible ici-bas, le Coran les incite à la réflexion et à l’ouverture d’esprit. Il les invite à s’unir et à combattre sans faille tous les motifs de discorde, et leur enseigne la nécessité d’éviter les tergiversations et les querelles intestines, source d’affaiblissement de leur communauté.
La majorité sunnite orthodoxe, qui, tout au long de l’histoire islamique, s’est attachée à cet enseignement coranique, s’est également conformée au commandement divin ordonnant aux croyants : «Obéissez à Dieu, et obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement», (Coran 59/IV).
Ces derniers sont choisis, selon les usages de chaque époque et de chaque contrée, suivant les modes de désignation, de succession ou d’élection, pourvu qu’ils veillent au respect de la loi, et qu’ils œuvrent à la réalisation de l’intérêt général. Et les méthodes modernes de participation des citoyens à la gestion des affaires de la cité, à travers des représentants élus, sont parfaitement compatibles avec cette vision islamique de la chose publique.
Ce sont les systèmes basés sur cette vision qui ont d’ailleurs permis à la communauté islamique de vivre, de longs siècles durant, dans des sociétés tolérantes, ouvertes sur l’extérieur et source d’enrichissement de la science et des connaissances humaines. Cette ouverture d’esprit a favorisé l’ijtihad, source d’innovation et de créativité, avec lequel les musulmans sont appelés, plus que jamais, à renouer. Mais pour être opératoire, la pratique de l’ijtihad doit être rénovée, ce qui permettra aux musulmans de tirer profit des progrès réalisés en matière scientifique et technique par les autres peuples.
Pour ce, l’ijtihad ne peut plus être, comme il fut par le passé, l’œuvre d’ouléma isolés. Il requiert la mise en place d’équipes multidisciplinaires comprenant, outre ces derniers, des scientifiques, des économistes, des médecins, des juristes, des philosophes et des spécialistes des divers domaines de la connaissance et de la gestion des affaires de la cité.

Le jihad était historiquement une lutte armée pour défendre l’islam et non pour le propager

Il nous faut aussi souligner que l’ijtihad provient de la même racine étymologique qu’une autre obligation religieuse qui fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps, à savoir le jihad, réduit, le plus souvent, à la seule lutte armée contre l’ennemi. Or, s’il a pris cette forme, à un moment donné de l’histoire des musulmans, c’était pour défendre l’islam et la communauté des musulmans, et non point, comme certains milieux le prétendent, pour propager la religion primordiale.
Il est en effet bien naïf de croire que l’islam s’est propagé dans les cœurs à la force de l’épée, car s’ils avaient été convertis par la force, beaucoup de peuples auraient abandonné leur attachement à l’islam dès les premiers signes d’affaiblissement des Etats musulmans et d’éclatement des empires. Ce qui s’est passé, au contraire, c’est que l’islam a servi de ciment pour l’unification de ces peuples, notamment lors des périodes de lutte pour leur indépendance, où le jihad armé fut, non seulement nécessaire, mais obligatoire.
La situation a changé depuis lors. Tous les pays musulmans ont recouvré leur indépendance politique, et personne ne peut donc soutenir, raisonnablement, que le jihad puisse être mené, de nos jours, contre des musulmans, fussent-ils non pratiquants.
Dans tous les cas, la lutte armée n’est qu’une facette du jihad qui signifie, certes, combattre (pour Dieu), mais sans que ce combat prenne forcément et nécessairement la forme d’une telle lutte. L’islam distingue d’ailleurs, dès sa naissance, le jihad mineur (jihad al asghar), la lutte contre les infidèles, du jihad majeur (jihad al akbar), le jihad spirituel, c’est-à-dire la lutte que le croyant doit mener sans cesse contre les vices et les passions de la nature humaine (In Encyclopédie des Religions, G. J. Bellinger).
C’est de cette forme de jihad que nous avons besoin aujourd’hui, et qui consiste d’abord en une action quotidienne que chaque musulman est tenu de mener contre ses mauvais penchants, en vue de parfaire ses mœurs et de se rapprocher du modèle prophétique.
Dans cette lutte-là, l’ennemi est encore plus invisible que dans celle menée actuellement contre le terrorisme. C’est une lutte contre soi-même, contre ennafs, que le Prophète a qualifié, dans une tradition célèbre, comme étant le pire de nos ennemis.
Le soufisme, méthode permettant de mener à bien cette lutte, et qui constitue la dimension spirituelle, la quintessence, voire la substance même de l’islam, pour reprendre les termes de Saïd Ramadan al-Boutti (In Le salafisme, une étape historique bénie, et non une doctrine) fera l’objet de notre troisième et dernière
partie.
A suivre…