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Idées

Réforme des retraites : un choix contraint

Anticiper des solutions aux problèmes des retraites est une responsabilité
partagée. Il s’agit aussi d’éviter que les mesures de
réforme ne se traduisent par des promesses intenables à l’égard
des futurs retraités. Il faudrait surtout isoler les régimes de
pensions des risques politiques.

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rub 4456

Dans les systèmes de protection sociale, la branche des retraites est celle qui symbolise au plus haut point une solidarité désintéressée. En effet, on peut toujours analyser les autres branches de la protection sociale sous l’angle utilitariste : il en va de l’intérêt de la société de soigner sa main-d’œuvre par un accès aux soins garanti ; il est également de son intérêt d’encourager une politique familiale pour permettre le renouvellement de la force de travail. Il est en revanche, en terme de logique économique froide, moins directement dans son intérêt de garantir le niveau de vie de ses retraités. Est-ce à dire dans cette logique matérialiste, individualiste, qui tend à prédominer dans le monde d’aujourd’hui, que l’on doit porter moins d’intérêt à la solidarité intergénérationnelle? Assurément non ! On a d’ailleurs coutume de considérer que le degré de civilisation s’apprécie au sort que l’on réserve à nos aînés. La façon dont une société traite ses «vieillards» improductifs reflète avant tout une conception du respect de la dignité de la personne humaine, plus qu’elle ne répond à une préoccupation économique.
Le développement de notre système de retraites est la marque d’une profonde modification de la société, par le passage de solidarités intergénérationnelles purement familiales ou ethniques à des solidarités socioprofessionnelles ou nationales. Ce passage n’est pas encore parvenu à maturité mais, déjà, l’extension du salariat et de l’urbanisation est en train de rompre certaines solidarités anciennes et de bouleverser le modèle familial traditionnel. Certes, notre système de retraite se caractérise par une faible couverture institutionnalisée des risques et de la population, celle-ci étant limitée à seulement une partie des travailleurs des secteurs structurés. Mais sa jeunesse a longtemps été une condition permissive de sa mauvaise gestion financière. L’environnement économique, financier et social du système, son mode de gouvernance font peser de lourds handicaps sur son devenir.
La contrainte du nouvel environnement impose une réflexion dépassionnée, mais urgente, sur la réforme du système. La problématique est celle de l’évolution d’un système complexe élaboré dans une autre conjoncture. Il faut en comprendre les insuffisances et les excès, s’inspirer, lorsque cela est utile, de l’expérience de pays étrangers – mais rien n’est directement transposable – et, surtout, de clarifier les objectifs que le nouveau système est censé réaliser. Cette clarification relève d’une démarche politique active, qui anticiperait sur une évolution que les contraintes d’ouverture, de démographie, de financement pourraient autrement se charger d’imposer. A défaut, la poursuite de la situation actuelle serait une bombe à retardement.
Dans la mesure où l’action publique est conduite par des majorités successives préoccupées surtout par des objectifs de court terme, il y a une difficulté pour l’Etat, surtout en matière de retraite, à s’engager sur une politique de long terme. L’illustration la plus évidente de cette impéritie gouvernementale concerne les systèmes de retraite dans des pays européens. Les déséquilibres à terme de ces régimes ont été identifiés dès les années soixante, au plus tard soixante-dix, et des remèdes ont été alors proposés. Mais les mesures adaptées n’ont pas été prises à temps parce qu’elles n’étaient pas populaires. Ne répétons pas la même erreur.
Anticiper des solutions aux problèmes des retraites est une responsabilité partagée. Il s’agit d’éviter une trop grande dépendance des retraites par rapport à la situation budgétaire de l’Etat. Il s’agit aussi d’éviter que les mesures de réforme ne se traduisent par des promesses intenables à l’égard des futurs retraités. Il faudrait surtout isoler les régimes de pensions des risques politiques. Il convient enfin d’envisager un compromis qui permettrait de préserver la spécificité de cette forme d’assurance sociale en menant une politique concertée et flexible, sous forme de contrats occasionnellement révisables. Une adhésion des partenaires sociaux à ces grands principes laisserait penser que le système de retraite pourrait emprunter la voie d’une réforme en profondeur.