Idées
Sur les traces du poète

On ne prend pas de risques lorsqu’on cite certains poètes, non pas que ces derniers, comme soutenait l’un deux, aient toujours raison mais, tout au contraire, parce que disait René Char, «un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.»
Parmi les poètes qui ont traversé une grande partie du siècle dernier, le rire en bandoulière et le bon mot à fleur de poème, on peut citer Jacques Prévert. Auteur à tout faire qui partageait son talent entre le cinéma, la poésie et la chanson, il a su hisser les mots de tous les jours au rang du sublime, donner la parole aux petites gens de rien et la mettre au service des choses du quotidien. Cet arpenteur de la simplicité dans un monde où les hommes s’évertuent à tout compliquer, n’a pas inventé une langue, il l’a juste restituée à ceux et celles qui en sont privés, sans tomber ni dans la démagogie du discours politique, ni dans son pendant poétique aux relents misérabilistes. Ce passage à partir du bruit d’un œuf dur illustre parfaitement cette rhétorique de la simplicité : «Il est terrible le petit bruit d’un œuf dur cassé sur un comptoir d’étain, il est terrible ce bruit / Quand il remue dans la mémoire d’un homme qui a faim.»
Ce n’est pas un hasard si les écoles françaises ont depuis fort longtemps et qui plus est – grande consécration – de son vivant, introduit ses poèmes dans les programmes dès le primaire. N’est-ce pas là, non pas la preuve, mais la trace qui fait rêver dont parlait l’autre grand poète René Char ? Voilà pourquoi, pour revenir aux propos du début de cette chronique, on ne prend pas de risques à citer un tel auteur par ces temps incertains et résignés où l’on cite n’importe qui pour étayer n’importe quoi dans une rhétorique de la vacuité et du panégyrique onctueux. A lire Prévert, en plus de l’émotion et de la fine simplicité, on est également assuré de se payer une franche rigolade ; ce qui en poésie, et dans la littérature en général, n’est pas chose fréquente.
C’est bon de parler de poésie dans une chronique d’humeur. Elle permet de passer à autre chose, car la poésie c’est justement et par définition- si tant est qu’elle en porte une – toujours autre chose. Elle offre, par ailleurs, aux chroniqueurs énervés et pressés par le bouclage du journal et par leur propre subjectivité, la possibilité d’évacuer quelques sujets qui fâchent. Bref, elle autorise son auteur à sortir de ses gonds sans quitter sa réserve. A ce sujet, comment ne pas citer encore une fois Prévert lorsqu’il écrit, alors que ses textes sont dans les programmes des écoles : «Heureux l’élève qui, comme une rivière, arrive à suivre son cours sans sortir de son lit.» Ce n’est donc pas toujours vrai que l’on peut citer sans risques l’auteur de Paroles, sauf si l’on fait confiance à l’humour des enfants. Ce qui est heureusement encore le cas dans certaines écoles et chez certains enseignants.
Mais qui fait encore confiance à l’humour dans d’autres secteurs comme la politique par exemple ? Personne ou alors c’est involontaire. Voilà pourquoi les rictus ont remplacé les sourires dans toutes les manifestations à caractère politique, dans les journaux qui en rendent compte et chez ceux qui les commentent. Cette constipation généralisée, accompagnée d’une forte fièvre acheteuse de voix, n’a même pas arraché une esquisse de sourire alors que nous en avons grand besoin. Pourtant, l’humour est dans la rue, l’imaginaire populaire aussi, et ne demande qu’à libérer un grand éclat de rire, franc et massif comme un scrutin des années quatre-vingt de notre jeunesse.
Et pour conclure sans transition et sans poésie mais avec le sourire, cette brève publiée récemment par le quotidien l’Economiste dans la rubrique «Echos du festival du cinéma de Marrakech» et livrée telle quelle car elle vaut son pesant d’or : «(…)Par ailleurs, Karim Ghallab, ministre de l’Equipement, a apparemment la main heureuse. Lors d’une tombola organisée par le joaillier Chaumet (un des sponsors du festival), Ghallab a gagné une montre sertie de diamants»
