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Les mariages bidon d’Al Azhar

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rub 4411

On lit des choses hallucinantes dans la presse du Moyen-Orient, en vente libre chez nous. Tel ce long reportage publié il y a quelques jours sous un titre interrogatif mais néanmoins alarmiste : «Les scènes de mariage et de divorce seront-elles interdites sur l’écran parce qu’elle sont “haram”?» Il s’agit, selon l’auteur de l’article, de la préparation d’une fatwa par la commission en charge de ces réjouissances à Al Azhar, en Egypte, interdisant la représentation de scènes de mariage et de divorce au cinéma et à la télévision. Ladite commission se fond, semble-t-il, sur un hadith du Prophète selon lequel nul ne doit plaisanter avec trois choses : le divorce, le mariage et la libération d’un esclave. En effet, d’après un membre de cette commission qui a tenu à garder l’anonymat tant que ladite fatwa n’est pas entrée en vigueur, le fait de marier dans un film ou toute autre fiction, un couple devant le «maâdoun» et deux témoins déclenche, ipso facto, l’application de la Chariâa à cet égard. Résultat : si par exemple une actrice est déjà mariée, elle se retrouverait avec deux époux, ce qui, si l’on ose dire, la foutrait mal. Le alem bien avisé ne donne pas l’exemple d’un acteur, sachant que ce dernier ne serait en infraction qu’après son quatrième film. Et encore, il aurait la possibilité de répudier les actrices à la fin de chaque tournage et se taper ainsi tout le gotha cinématographique féminin. Non! Plus sérieusement, vous ne vous demandez pas, en lisant cette info, ce que la presse arabe cherche à travers la propagation de ce type de polémiques ? Car il y a eu débat contradictoire autour de ce projet de fatwa dans le milieu cinématographique égyptien. Et pire encore, il s’est trouvé des actrices, telle Loubna Abdelaziz, pour proposer de contourner la difficulté en évitant tout conflit avec l’oukase d’Al Azhar, dès l’écriture du scénario ou à travers les dialogues. Seul Yahia Al Fakharani sauve ce débat d’un autre âge en plaisantant sur le nombre d’épouses qu’il compterait si cette loi lui était appliquée.
On pourrait, bien sûr, rire de tout cela si certains journaux arabes n’avaient de cesse de servir cette pensée rétrograde et de manipuler les lecteurs au nom d’une interprétation étriquée de la religion musulmane. Cette dernière souffre déjà d’une bien mauvaise image, dans les médias à travers le monde, à cause de tous les imposteurs qui en ont fait un fonds de commerce pour s’accaparer pouvoir et fortune. C’est d’ailleurs dans le même quotidien arabe ayant publié le reportage sus-mentionné que l’on peut lire cette injonction destinée aux lecteurs qu’aucun organe de presse de par le monde n’aurait osé publier, et dont voici la traduction : «Ce journal contient des versets coraniques et des hadiths, aussi doit-on respecter ses pages.» Ce marketing exploitant des textes sacrés à des fins commerciales est en soi un sacrilège. Mais que n’en a-t-on pas commis au nom des religions depuis que celles-ci existent ?
Par ailleurs, la floraison et la propagation de ces fatwas liberticides que l’on sème à tout vent incombe à certains médias certes, mais également à ces Etats arabo-musulmans qui entretiennent des institutions confiées à une caste rétrograde au pouvoir religieux et cultuel sans limites. Les détenteurs des attributions dites spirituelles finissent toujours par phagocyter le pouvoir temporel et lui disputer sa légitimité. Il y a belle lurette que les Etats démocratiques ont pigé le truc et tracé une séparation sereine entre le champ spirituel et la sphère publique, sans pour autant exclure le fait religieux.
Mais revenons, pour conclure, à ce projet de fatwa sur le mariage et le divorce dans la fiction, en Egypte, pour dire que si le cinéma dans ce pays connaît une crise sans précédent depuis une vingtaine d’années, c’est parce que l’obscurantisme est passé par là. Mais c’est aussi, et c’est lié, parce qu’une partie des gens du cinéma et de la télévision que compte le pays a mis son talent et son savoir-faire au service d’un ersatz d’art qui pue le pétrodollar