Idées
Logomachie et loi de la pesanteur
Peut-être faudrait-il inventer
une nouvelle presse indépendante de tout, même de sa propre bonne volonté. Une sorte
de pouvoir, sans rang déterminé mais dont la ligne éditoriale viserait à réguler les humeurs
et à en distiller la bonne.

Rien de tel qu’une bonne citation marrante et optimiste pour démarrer une chronique d’humeur qui entend suivre l’actu en ce début d’été. Tenez, celle-ci semble toute indiquée : «Le meilleur moyen de prendre les choses du bon côté, c’est d’attendre qu’elles se retournent.» Elle est d’autant plus intéressante qu’elle est l’œuvre d’un certain P. Ouanich, inconnu au bataillon des citateurs, dénichée en glandant sur le web dans un site où même les anonymes ont droit de cité (et de citer). Grandeur et miséricorde de la Toile qui accueille tout ce que l’humanité recèle de vanité, de sciences, de volubilité, de solitude, de violence mais aussi de douces réactions à toute cette agitation insensée de la pensée et des sentiments.
En ce début d’été où les juillettistes entament leurs vacances et alors que les journaux, un peu partout, ont planté leurs marronniers pour donner à lire des pages estivales en feuilletons, ici la presse aussi se met au diapason et se plie en quatre (au propre comme au figuré) mais pour niquer le moral du lectorat. Bien sûr, et on ne peut la taire, il y a l’actualité, déjà assez dramatique comme ça, de l’après 16 mai et des «Moul assabbat, Moul saucisse» et autres marchands ambulants analphabètes hissés au rang d’amir et de moufti. Mais on nous promet encore et davantage pour les vacances : les mémoires misérabilistes de tel comédien ; les crimes de l’été (la mère qui a assassiné ses enfants et autres massacres à la tronçonneuse), les affres littéraires de certains écrivains, une visite guidée dans les grottes du terrorisme islamiste de Tora Bora à Kaf El Aazba; lecture commentée et traduction d’ouvrages sur la genèse et l’exégèse de l’intégrisme. Bref, tout ce qui peut accompagner le farniente, bercer les bonnes siestes baveuses de l’été et vous empêcher de bronzer idiot. L’heure est à la vigilance et à la culture. C’est fou ce que cette dernière a fait comme progrès ces derniers temps !
Les choses étant ainsi, les optimistes béats des plages bondées, les chercheurs du bonheur dans les petits riens qui composent des plaisirs éphémères, les arpenteurs de l’imaginaire dodu et fugace des pavés littéraires de l’été et les siesteurs indolents du plein air comme ceux des chambres aux stores baissés; toute cette engeance léthargique et insouciante peut aller se rhabiller car l’heure est à la sinistrose à forte dose qu’il s’agit d’entretenir constamment pour tenir informés et donc éveillés les lecteurs-citoyens. D’autant que le champ médiatico-intellectuel a enregistré depuis quelques temps l’éclosion aussi soudaine qu’étonnante de spécialistes en tous genres de l’après 16 mai. De l’anthropologie à la psychanalyse, en passant par l’économie et la géopolitique, on ne compte plus les entretiens et les analyses d’une foule d’experts montée au créneau pour nous éclairer sur le comment et le pourquoi des événements dramatiques de Casablanca. On se demande d’ailleurs où cette science se cachait durant toutes ces années ? Encore une question dont on trouvera, peut-être, la réponse lors d’une analyse fouillée sous la plume ou dans la bouche savantes de quelques universitaires spontanéistes, généralistes et néanmoins experts. Les pages d’été offertes par la presse seront là pour accueillir cet éclairage et en faire profiter les lecteurs pendant leurs vacances. Il n’y a pas de raison ! … Et il n’y pas d’heure pour les braves.
Alors comment faire pour prendre les choses du bon côté sans attendre qu’elles se retournent ? Peut-être faudrait-il inventer une nouvelle presse indépendante de tout, même de sa propre bonne volonté. Une sorte de pouvoir, sans rang déterminé mais dont la ligne éditoriale viserait à réguler les humeurs et en distiller la bonne. Les trois autres pouvoirs n’auront qu’à se débrouiller entre eux : se faire des bisous, se séparer ou faire chambre à part. Ce nouvel esprit des lois serait de nature à mettre du bonheur dans les épinards. Encore une utopie, dirait l’autre sceptique de service. Ouais, sauf que l’utopie ouvre parfois le chemin devant le progrès. De plus, les utopistes sont bien plus marrants à vivre que les culs serrés de la sinistrose ambiante. Et pour finir tout en restant dans l’esprit des lois, dont celle de la pesanteur est la plus rigolote, cette citation d’un anonyme (ce sont les meilleures) : «Conformément à la loi de la pesanteur, l’homme ouvre la bouche plus facilement qu’il ne la ferme.»
