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Idées

Modèle de développement : pourquoi l’État stratège a-t-il failli ?

La critique ouverte et ferme faite par le Souverain de notre modèle de développement a sonné le glas d’un concept qui a connu son heure de gloire, à savoir celui d’État stratège. Et pourtant les choix du Maroc en matière de politique de développement avaient connu un franc succès dans d’autres pays. Qu’est-ce qui n’a pas marché alors  ?

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NABIL ABDEL ESCA

Pour rappel, le modèle de développement adopté par le Maroc peut se résumer en trois grands choix. Le premier grand choix est la confirmation, dans la constitution du Royaume, de l’orientation libérale de l’économie marocaine. En consacrant les trois libertés fondamentales de l’économie du marché, à savoir la propriété privée des moyens de production, la libre concurrence comme meilleur moyen d’affecter les ressources et la libre entreprise en tant que vecteur premier de croissance et de création de richesses, le Maroc ne fait que confirmer une orientation qui était la sienne depuis l’Indépendance. Toutefois, cette option pour l’économie du marché s’est effectuée sous l’encadrement tutélaire de l’État. Ce dernier a toujours eu le dernier mot dans les choix économiques du pays. L’expression galvaudée pour désigner ce rôle est celle d’État stratège. Autrement dit, l’État planifie, exécute et suit la réalisation des grands chantiers de développement dans ce pays (deuxième choix). Enfin, le troisième choix consiste en le prélèvement important sur la production nationale pour financer les grands projets d’infrastructures dans tous les domaines, mais essentiellement les infrastructures routières, autoroutières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires. Ce rôle de l’État censé être le catalyseur de cette croissance, comme ce fut le cas dans beaucoup d’expériences d’industrialisation tardive, est devenu la principale cause d’échec de notre modèle de développement. En effet, le rôle omnipotent de l’État dans l’économie n’a pas produit la rupture tant escomptée pour plusieurs raisons.

La première raison est qu’une intervention aussi importante de l’État dans l’économie suppose la mise en place préalable d’organes sains, forts et indépendants de régulation et de contrôle pour éviter tout dérapage. La faiblesse institutionnelle caractéristique de ce pays explique nos faibles performances économiques dans moult domaines. L’intervention publique est devenue synonyme d’importantes dépenses financées par l’impôt et la dette pour des résultats plus que décevants (dixit les différents rapports de la Cour des comptes). L’échec du plan d’urgence dans l’enseignement et ceux de plusieurs plans sectoriels ne sont que la triste illustration de cet état de fait. Les budgets mobilisés dans ces domaines ont été, au mieux, gaspillés, au pire, ils ont enrichi une minorité qui considère l’État comme une simple vache à traire. La deuxième raison est que l’action tentaculaire de l’État a eu comme conséquence inéluctable l’éparpillement de ses efforts sur plusieurs activités. On a, ainsi, réussi l’exploit de faire d’une pierre deux mauvais coups. On a gagné un piètre gestionnaire de l’économie et on a perdu un bon agent de service public. Tant et si bien que l’État n’ayant pas exécuté convenablement les missions qui sont les siennes (éducation, santé, justice, culture, aménagement du territoire, diplomatie économique, etc.), et dont la correcte réalisation aurait pu accélérer la cadence de notre développement, s’est mû en donneur de leçons aux opérateurs privés sur la meilleure manière de réaliser les leurs (missions). La confection par l’État de plans sectoriels en est la parfaite illustration. Il en a résulté une castration de l’initiative individuelle dans ce pays, où désormais les entreprises évoluent sous l’aile chaude et protectrice de l’État. Le meilleur moyen de réussir n’est plus d’innover, de prendre des risques et de bien gérer ses affaires, mais de s’approcher le plus possible des arcanes du pouvoir. C’est ainsi que des milliers d’entreprises font annuellement faillite. Elles ne manquent ni d’innovation ni de compétitivité, mais elles n’ont tout simplement pas les bons accès aux marchés publics et hélas de plus en plus aux marchés privés. Entre 2013 et 2017, le Maroc a perdu plus de 30 000 entreprises, ce qui a détruit au moins une centaine de milliers d’emplois. Là où le rôle de l’État aurait été de garantir, par la force de la loi, un accès équitable à tous les acteurs à la réussite économique sur la base de leur mérite, il est devenu lui-même un auteur de cette exclusion. Enfin, une présence importante de l’État dans l’économie se fait fatalement au détriment des autres agents économiques. En effet, la production nationale, ou plus précisément sa variation, est destinée soit aux ménages, soit aux entreprises, soit à l’État, soit au reste du monde. C’est un jeu à somme nulle. Plus l’État prélève sur cette richesse, moins il laisse aux autres. De même, la fiscalité opère une ponction sur les revenus des ménages (au détriment de la consommation et de l’épargne) et sur les revenus des entreprises (au détriment de l’investissement et de la distribution de dividendes). Ce prélèvement de richesses suppose que l’État en ferait un meilleur usage que ceux qui les ont créées. C’est une thèse qui est toujours sujette à débat, sauf au Maroc. Et pour cause, le taux de rendement du capital investi par l’État est des plus faibles parmi les pays comparables et les différents rapports de la Cour des comptes chiffrent annuellement à plusieurs milliards de dirhams les gaspillages des deniers publics. Cette faille de l’État à gérer convenablement l’économie est pourtant fort simple à expliquer. L’État a une vocation de service public qui s’exerce par le monopole de la force légitime. Les affaires économiques obéissent à une autre logique, à savoir l’échange volontaire entre agents économiques, dans le but de maximiser leurs profits (pour les entreprises) et leurs utilités (pour les individus). Chacune de ses missions exige de son acteur des qualités qu’il ne peut pas acquérir du jour au lendemain. C’est l’erreur fatale que nous commettons en pensant que l’État peut d’un coup de baguette magique réussir là où des opérateurs privés, qui ont pourtant la vocation, trouvent beaucoup de mal !