SUIVEZ-NOUS

Carrière

La beauté est-elle un «accélérateur de carrière» ?

Rares sont ceux qui l’avouent : le physique est un facteur de discrimination au travail.
Les entreprises font très rarement mention de critères physiques explicites pour des raisons de déontologie compréhensibles.
Au Maroc, aucune loi ne protège les salariés contre les discriminations en rapport avec le physique, comme cela existe dans nombre de pays.

Publié le


Mis à jour le

Avoir la «gueule de l’emploi», c’est bien souvent avoir une «bonne gueule». De la maternelle à l’entreprise, le physique – quoiqu’on en dise – exerce un réel pouvoir. Dans notre société envahie par l’image, la beauté nous impose ses diktats. Conséquence : les gros, les petits et les moches vont «ramer» bien plus que les autres. C’est en tout cas ce qu’affirment des études sur le sujet.
«Nous sommes dans l’ordre du non-dit, de l’officieux», explique Essaid Bellal, responsable du cabinet de recrutement Diorh, à Casablanca. «Nos clients parlent de présentation, de tenue, d’élégance… sans jamais évoquer de façon explicite le physique. Ils savent aussi chez nous qu’ils ont à faire à des cadres connaissant leurs droits». En fait, si les entreprises au Maroc font très rarement mention de critères physiques explicites, c’est davantage par déontologie naturelle que par peur de représailles juridiques. Aucune loi, en effet, ne protège les salariés contre les discriminations en rapport avec le physique, comme cela existe dans nombre de pays. Des faits d’ailleurs souvent bien difficiles à prouver devant les tribunaux…
Les critères physiques sont en effet quasiment absents des petites annonces. Tout au plus relève-t-on quelques qualificatifs peu clairs en termes de jargon de compétences comme «secrétaire discrète» et des mentions de sexe et d’âge, souvent interdites dans d’autres pays.

Discrimination sur le physique ? Difficile à prouver devant un tribunal

En matière de desiderata physiques, «bonne présentation» est quasiment la seule expression rencontrée et la plus couramment utilisée. La photo, en revanche, est de plus en plus sollicitée en accompagnement d’un CV. «Personnellement, je la demande pour des raisons purement mnémotechniques», explique le directeur du cabinet Diorh, qui avoue avoir peu la mémoire des noms. «Nos clients sont en revanche minoritaires à l’exiger». Ce n’est pas l’avis de Saïd, chercheur d’emploi de 30 ans dans la navigation maritime. «Ça devient systématique depuis quelque temps. J’ai dû chaque fois accompagner mes derniers CV d’une photo que j’ai un peu retouchée. Le contexte étant peu favorable aux barbus, j’ai dû me raser de près… grâce à Photoshop !», déplore-t-il.
Il faudrait sans doute torturer un DRH pour qu’il reconnaisse explicitement le pouvoir de la beauté dans un recrutement ou une gestion de carrière. «Nous ne sommes pas une agence de mannequins. Nous cherchons avant tout des compétences», répète-t-on partout. En fait, les spécialistes du recrutement sont rarement conscients de commettre une injustice lorsqu’ils jugent qu’une personne au physique déplaisant est «sans charisme», une expression souvent utilisée comme «cache-sexe» lorsqu’on veut parler de la beauté. Le sujet est encore tabou dans l’entreprise. A l’agence cadres de Manpower, la photo est également sollicitée. Elle est même vivement conseillée pour une candidature directe à l’entreprise «excepté pour les femmes voilées qui s’ôtent alors toute chance de trouver un travail, les études l’ont montré», explique Habiba Jakani, chargée de recrutement. «Mieux vaut se donner le maximum de chances en laissant de côté ses idées personnelles. L’entreprise demande aussi une adaptabilité». En revanche, concernant les critères purement physiques, la discrimination énoncée n’est pas tolérée : «Nous avons eu un cas d’entreprise qui refusait les travailleurs handicapés. Nous lui avons clairement notifié que nous ne souhaitions pas travailler avec elle. Je pense que tous les cabinets de recrutement auraient agi de même».

La beauté peut aussi être un handicap

Il arrive aussi que la beauté se révèle un handicap. Chez la femme, principalement, qui peut alors susciter des jalousies, être davantage victime de harcèlement et de toute sorte de stéréotypes négatifs. Elle peut aussi devenir davantage une cible lorsqu’elle occupe un poste à responsabilités ou d’encadrement. On s’interrogera alors sur son ascension, on suspectera une «promotion-canapé». «La femme, d’une façon générale, doit doublement se battre dans l’entreprise, se positionnant d’abord comme l’égale de l’homme», remarque la chargée de recrutement de Manpower. «Elle doit avoir une exemplarité plus importante encore, démontrant son professionnalisme. Si elle arrive à s’imposer et qu’en plus elle a un physique agréable, le respect qu’elle inspirera pourra être beaucoup plus important encore».
Dans toute la vie sociale, les gens beaux sont recherchés. Il n’est plus à démontrer la corrélation entre apparence physique et réussite scolaire, sociale, matrimoniale et professionnelle. Dès le berceau, ça commence ! «La mère joue davantage avec un beau bébé et le regarde plus. Un bébé disgrâcieux recevra moins d’attention», note, sans détour, un professeur de psychologie. Evidemment, reconnaître une telle injustice est contraire à toute éthique et peu l’admettront. A l’école, ça continue. Les «beaux» sont généralement placés devant et, à travail égal, obtiennent de meilleures notes. Plus effrayant encore, des cher-cheurs américains ont prouvé qu’à délit égal, les laids sont jugés plus sévèrement que les beaux. Alors faut-il faire l’autruche au nom de l’éthique et laisser l’injustice courir ? Une psychologue française, directrice de recherche au CNRS, après une étude sur des nourrissons, nous livre ses résultats : «Dès l’âge de trois jours, raconte-t-elle, les bébés fixent plus longtemps les jolis visages que les autres». Refroidissant !
Les «beaux» projettent une image de compétence et de talent qui leur donne confiance en eux et renforce encore le préjugé favorable qu’ils suscitent. On les dit plus gentils, plus attentifs, plus intelligents, plus sociables… et quoi de plus normal puisqu’ils ont été adulés depuis le biberon ? Comble d’injustice, il semble que les beaux se conforment à l’image qu’on a d’eux, devenant ce que l’on veut qu’ils soient.
Au-delà des phénomènes de mode, des normes culturelles, de nos projections, sans doute sommes-nous soumis malgré nous à quelques canons universels. Nos connaissances sur le sujet sont encore approximatives. Qu’est-ce qui est beau? Presque un sujet de philo. On peut épiloguer sur la subjectivité de la beauté, sur la notion de charme distincte de la beauté, mais la discrimination demeure, impitoyable. Il ne s’agit pas, en la dénonçant, de miner le moral des moins beaux, mais bien de prendre conscience de ce type de préjugés, de reconnaître que nous y succombons tous. C’est déjà là progresser vers des comportements plus rationnels et plus justes

La beauté a toujours fasciné et les psychologues sont convaincus de son influence dans tous les domaines, y compris professionnel. Une étude menée en France indique que, dès l’âge de trois jours, les bébés fixent plus longtemps les jolis visages que les autres…!

«Ça devient systématique depuis quelque temps. J’ai dû chaque fois accompagner mes derniers CV d’une photo que j’ai un peu retouchée, le contexte étant peu favorable aux barbus.»

Les «beaux» projettent une image de compétence et de talent qui leur donne confiance en eux et renforce encore le préjugé favorable qu’ils suscitent.