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Idées

Le temps du juge

vaut-il mieux un procès rapide, aux sentences discutables, qu’un procès lent, long, où tous les arguments sont pesés et soupesés, mais où les verdicts, bien étudiés, bien argumentés, reposant sur des bases juridiques incontestables s’imposent naturellement à toutes les parties ? Dans la pratique judiciaire les avis demeurent partagés, et le sentiment commun qui prévaut est que chaque affaire étant différente des autres, il appartient au juge de gérer le déroulement du temps en fonction de la complexité du dossier.

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chronique Fadel Boucetta

Conformément à la tradition, on remarque donc, ces derniers temps, un ralentissement de l’activité judiciaire. Les palais de justice sont moins encombrés…à tel point que, miracle, quiconque se rend à un tribunal, trouve où garer sa voiture sans problème, et en cinq minutes chrono ! Essayez donc de faire ça en février ou en novembre, et vous verrez la différence. Un calme inhabituel règne sur les lieux, et, c’est justement l’occasion d’aborder une question primordiale en matière de justice : la notion de temps. Une chose est sûre, il n’y a pas unanimité là-dessus : pour certains, tout va très vite, trop même, et en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, l’on est condamné à deux, trois, voire dix ans d’emprisonnement. Pour d’autres, au contraire, la justice est désespérément lente ; quoi?!, s’insurgent –ils, il faut plus de six audiences, échelonnées sur près de six mois pour obtenir l’expulsion d’un locataire défaillant ? Alors, où se trouve le point d’équilibre entre ces deux conceptions, fort éloignées les unes des autres ? En fait, il est quasi impossible de le trouver, car selon que l’on soit l’une ou l’autre des parties, selon que l’on soit avocat ou magistrat, ou plaideur, les points de vue sont difficiles à concilier.

Commençons, à tout seigneur tout honneur, par les avocats. Pour eux, la gestion du temps, concernant le déroulement d’un procès, est essentielle. Il s’agit de pouvoir défendre les intérêts de ses clients en toute sérénité, demander l’accès à tous les documents utiles fournis par la partie adverse, avoir le temps de les étudier et de préparer sa ligne de défense.
Mais là encore, tout dépend du côté où l’on se trouve ; pour celui qui a initié et lancé une procédure, le souhait est de voir son action réussir rapidement : il sera content, son client sera satisfait, surtout s’il obtient gain de cause, et la rémunération sera conséquente.

Par contre, pour l’avocat de la partie adverse, toute demande de renvoi ou de report se justifie par le fait qu’il ne faut point se presser, et longuement mûrir sa réponse, l’étayant de moult textes de lois, ou de jurisprudences nombreuses et variées.

Au milieu, le juge, tout en assurant un déroulement équilibré de l’instance, doit aussi veiller à respecter les droits de chaque partie, et éviter les tensions entres confrères du barreau: exercice demandant beaucoup d’expérience, de doigté et de sang-froid.

Il ne faut point oublier l’éminent représentant du parquet, lequel est tenu par des considérations, par ailleurs fort peu juridiques. Son rôle, on le sait, est de requérir des peines au nom de la société, en réparation des préjudices subis. Le plus souvent, lors des audiences, il ne prononce qu’un mot en guise de réquisitoire(ou un semblant de phrase, les grands jours): «Incarcération» ou, plus élaboré : «Le parquet requiert l’emprisonnement».
Sauf que là, les prisons étant pleines, il se fait violence à lui-même en requérant des peines de privation de liberté, (donc la case prison), mais qu’il assortit d’une demande de sursis : autrement dit, l’intéressé est bien condamné à, disons trois mois de prison ferme, sans pour autant y aller, le parquet n’ayant pas émis en même temps un mandat d’incarcération ou de mise sous mandat de dépôt. Tout ceci se déroule en accéléré, toujours pour des questions de temps, et les observateurs en sont toujours à discuter de cette notion : vaut-il mieux un procès rapide (voire expéditif), aux sentences discutables, qu’un procès lent, long, où tous les arguments sont pesés et soupesés, mais où les verdicts, bien étudiés, bien argumentés, reposant sur des bases juridiques incontestables s’imposent naturellement à toutes les parties ?

Dans la pratique judiciaire les avis demeurent partagés, et le sentiment commun qui prévaut est que chaque affaire étant différente des autres, il appartient au juge, personnage central, de gérer le déroulement du temps en fonction de la complexité du dossier. Et de toutes les manières, et vu l’antagonisme opposant en général les parties à un procès, on se doute bien que la décision du magistrat (en matière de reports ou de renvois) ne fera pas que des heureux !