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Rendement de la TVA : le taux de 20% rapporte 80% des recettes !
La TVA est la première source de financement de l’Etat et des collectivités locales. Elle est aussi la taxe dont les dépenses fiscales sont les plus élevées. Sa réforme a démarré voici plus de dix ans, mais les objectifs de départ ne sont toujours pas atteints.

Les recettes fiscales de l’Etat ont baissé de 1,5% sur le premier trimestre 2018. Cette baisse est principalement due au repli de l’impôt sur les sociétés (-16,9%) et accessoirement de la taxe professionnelle et des majorations de retard. Autrement dit, ce sont les impôts directs qui ont accusé une diminution (-10,2%), tirant ainsi vers le bas l’ensemble des recettes fiscales. Cette façon de présenter l’évolution des recettes fiscales est pour le moins tronquée. Car, dans le calcul des impôts indirects, l’on n’a pas tenu compte de la part de la TVA (30%) transférée aux collectivités locales, comme si celle-ci n’était pas une recette. Une telle présentation est évidemment normale pour le Budget, elle l’est moins pour l’opinion et, plus généralement, pour les utilisateurs des informations relatives à la fiscalité et aux finances publiques. Elle suggère que la croissance des recettes a baissé, ce qui est faux. C’est juste la part revenant au Budget qui a diminué.
En rétablissant les 30% de la TVA des collectivités locales (qui représentent un montant de 7 milliards de DH) dans le produit des impôts indirects, les recettes fiscales au premier trimestre ne baissent pas, elles se situent au même niveau que celles de la période correspondante de 2017. Et cette stagnation résulte quasi-exclusivement du bon comportement des impôts indirects qui ont crû de presque 6% ; les impôts directs ayant au contraire baissé de 10,2%, comme indiqué plus haut.
Parmi les impôts indirects, la TVA a augmenté de 7,1%. Cette hausse concerne aussi bien la TVA à l’importation (+7,7%) que la TVA à l’intérieur (+6,2%). Cela signifie que les importations comme la demande intérieure se sont appréciées de façon importante. D’ailleurs, cela va souvent ensemble : lorsque la demande intérieure “s’emballe”, les importations suivent. D’où, soit dit en passant, un taux de pénétration (indicateur qui mesure l’importance des importations dans une économie) supérieur à 40%.
Les taxes intérieures de consommation (sur les tabacs manufacturés et les produits énergétiques) ont, quant à elles, augmenté de 2,2%. Mais c’est le produit de la TVA qui constitue l’essentiel (plus de 70%) des recettes des impôts indirects.
On a souvent expliqué que les impôts indirects ont le défaut de “frapper” indistinctement les nantis comme les moins nantis, voire quelque fois les plus pauvres. Mais ils ont aussi un avantage qui n’est peut-être pas suffisamment souligné : leur assiette est plus large que pour n’importe quel autre impôt, potentiellement tout au moins. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, le Maroc a, dès 2005, entamé une réforme progressive de la principale taxe relevant des impôts indirects, la TVA en l’occurrence.
A ce jour, cependant, cette réforme n’a pas beaucoup progressé : en dehors de quelques suppressions d’exonérations et de relèvements des taux faibles, l’objectif de départ, qui consistait à réduire le nombre de taux à 2 au lieu de 4 (et même de 5 si on compte le taux 0), n’est toujours pas atteint. D’ailleurs, les dépenses fiscales relatives à la TVA trônent toujours à la première place des dépenses fiscales globales. En 2017, leur montant s’élevait à 16,3 milliards de DH, en augmentation de 7,3% par rapport à 2016. La part des dépenses fiscales relatives à la TVA passe ainsi à 48,7% du total des dépenses fiscales au lieu de 46,8% en 2016.
Le produit TVA assure 36% des recettes fiscales
Malgré l’importance de ces dépenses fiscales, dont une partie peut d’ailleurs être considérée comme des dépenses de redistribution, la TVA demeure la première source de financement de l’Etat et des collectivités locales. Sa part dans les recettes fiscales globales est en moyenne de 36% sur la période 2008-2017, au lieu de 28% environ entre 2000 et 2007. C’est une évolution importante (+8 points), certes, mais sans doute y a-t-il encore de la marge compte tenu du potentiel de l’assiette. Cette taxe, pour rappel, est assise sur la consommation, et la consommation des ménages au Maroc, c’est plus de 57% du PIB ou, si l’on veut, près de 600 milliards de DH en 2017.
En France, la TVA est la première recette fiscale du Budget de l’Etat. Elle a rapporté en 2017 près de 150 milliards d’euros nets, soit la moitié des recettes fiscales globales.
Dans la mesure où, à travers la réforme entamée voici plus d’une décennie, le Maroc a voulu faire de la TVA l’impôt pivot de sa fiscalité, que reste-t-il à entreprendre pour y parvenir ? Réduire le nombre de taux à deux (20% ou 19% pour le droit commun et un taux intermédiaire de 12% ou 14%) comme cela a été longtemps suggéré? Cela suffirait-il à enrayer le phénomène de la sous-déclaration voire de la fraude tout court ? Encore faut-il connaître, au préalable, le rendement de la TVA suivant les différents taux qui la composent. La Direction générale des impôts (DGI) a mené une étude dans ce sens, en voici le résultat : aussi paradoxal que cela peut paraître, c’est le taux le plus élevé, celui de 20%, qui rapporte le plus de recettes, soit 80,3% en 2017. En deuxième position, le taux de 10% rapporte 12,3% des recettes, celui de 14% seulement 5,1% des recettes et, enfin, celui de 7% ne génère que 2,3 des recettes de TVA. Cette structure, précise la DGI, est globalement stable, elle est donc…structurelle.
Les recettes ne sont pas corrélées aux niveaux des taxations
Pourquoi cette ventilation des recettes de TVA par taux de taxation est-elle ou paraît-elle paradoxale ? Parce qu’on s’attendait à une certaine corrélation positive entre la recette et le taux d’imposition : moins le taux est élevé, plus la consommation des produits et services ainsi imposés est grande et la recette d’autant. Si certains produits sont taxés à 7%, par exemple, c’est que l’on a estimé que ce sont des produits de masse touchant par conséquent un nombre très élevé de consommateurs. La faiblesse du taux est en principe compensée dans ce cas par l’effet volume. Dans le jargon de la science économique, on parle de l’élasticité prix de la demande (de biens ou de services). Et ce qui est généralement recommandé en matière de taux d’imposition (dans le cas des impôts indirects comme la TVA), c’est d’observer la règle de l’élasticité inverse : taxer plus faiblement les produits dont la demande est sensible au prix, et inversement. En d’autres termes, la TVA (comme la TIC d’ailleurs) devraient chercher à susciter un surcroît de demande au moyen de taux faibles ou modérés ; ce qui milite plutôt pour une diversité de taux, contrairement à l’objectif que l’on s’est fixé au Maroc (de manière officieuse il est vrai).
Cette règle de l’élasticité inverse qui vise à optimiser les recettes de TVA et des impôts indirects de manière générale ne s’est toutefois pas vérifiée ici ; pas davantage ailleurs, du reste. En France encore, 90% des recettes de TVA proviennent du taux de droit commun qui est de 20% (après avoir été de 19,6% jusqu’en 2014).
Dans le cas du Maroc, en tout cas, la “concentration” des recettes dans le taux de droit commun pourrait s’expliquer de la façon suivante : le gros des produits de consommation de masse, potentiellement générateurs de recettes, sont exonérés de TVA. Or, c’est précisément à ce niveau que la règle de l’élasticité inverse semble plus pertinente. Par contre, le taux de droit commun de 20% ne comporte aucune élasticité. Et s’il rapporte gros, malgré tout, c’est parce que, dans une assez large mesure, il s’applique aux importations, lesquelles ne comportent pas que des biens de consommation courantes.
L’idée qui est ici suggérée, c’est que la réforme de la TVA ne devrait plus tendre vers la réduction du nombre de taux de taxation, mais, au contraire, les multiplier. Instituer une variété de taux de taxation faibles en lieu et place de l’exonération, et en même temps abaisser le taux normal de 20% ne serait-il pas la meilleure façon d’optimiser l’assiette de cette taxe ? Peut-être cela engendrerait-il des coûts de gestion supplémentaires, mais c’est certainement mieux que le manque à gagner fiscal découlant des exonérations, pour ne rien dire de la fraude qui touche encore des pans entiers de l’activité économique. Pour l’instant, ce sont seulement les entreprises transparentes et organisées qui collectent la TVA et, en l’absence de remboursement des crédits dans les temps, en supportent la charge.
