Idées
Les magistrats du siège jugent «en leur âme et conscience»…
dans les procès qui se tiennent quotidiennement dans les palais de justice du Royaume, les juges doivent aussi, et souvent, faire face à des réalités poignantes, où il s’avère que la stricte application des lois en vigueur ne règle pas le conflit entre les parties, mais au contraire, et assez souvent, exacerbe leurs tensions et autres rancœurs ou amertume.

La loi et la coutume imposent aux magistrats du siège de juger «en leur âme et conscience» les différents cas qui leur sont soumis. La formule est belle, soit, mais que représente-t-elle vraiment, dans les faits, sinon une théorie intéressante? Car dans les procès qui se tiennent quotidiennement dans les palais de justice du Royaume, les juges doivent aussi, et souvent, faire face à des réalités poignantes, où il s’avère que la stricte application des lois en vigueur ne règle pas le conflit entre les parties, mais au contraire, et assez souvent, exacerbe leurs tensions et autres rancœurs ou amertume.
Prenons par exemple un dossier récent, opposant un propriétaire à son locataire, qui est en retard dans le paiement de ses loyers. Dans ce cas d’espèce, chaque partie a des arguments plus ou moins solides à faire valoir. Le propriétaire exige le paiement des loyers impayés, assortis de l’expulsion du locataire, avec exécution immédiate en prime. La loi est claire, en ce qui concerne les contrats de bail. Au cas où un terme n’est pas acquitté à son échéance, elle prévoit automatiquement la résiliation du contrat de bail. Ce qui suppose l’expulsion du locataire, ainsi que «de tous les occupants» présents au moment de l’exécution. Pour le juge cela revient à mettre à la rue une famille, pour préserver les intérêts, légitimes du reste, du propriétaire.
Une ancienne jurisprudence, toujours en vigueur en France, interdit les expulsions en période hivernale, qui s’étend du 1er novembre au 31 mars de l’année suivante. Cette notion n’existe pas au Royaume, où l’on considère toujours que l’Afrique bénéficie en permanence d’un climat tempéré. Les magistrats ont considéré que l’expulsion est le plus souvent demandée pour des retards de paiement dans les loyers. Ce qui revient à supposer que la justice va faire prévaloir les droits des propriétaires au détriment des locataires aux faibles revenus. Or elle est censée rester neutre et ne doit privilégier aucune des parties. Le propriétaire fait valoir ses charges, ses obligations d’entretien de l’immeuble et les impôts à acquitter. Le locataire invoque sa précarité matérielle, la famille dont il a la charge, et les diverses difficultés financières auxquelles il doit faire face. Que peut alors décider le magistrat, «en son âme et conscience» ? Sans hésitation, il condamnera le locataire défaillant à régler les échéances impayées. Et pour l’expulsion ? Tout dépend alors du fameux «âme et conscience».Certains juges blasés opteront sans état d’âme pour l’expulsion. Pour eux, il faut que l’économie tourne sans discontinuer. Les propriétaires paient des impôts et taxes à l’Etat, emploient des salariés, et ne sauraient donc être pénalisés par ceux qu’ils appellent «les locataires indélicats». Et hop, dehors tout le monde, qu’il neige ou qu’il vente, le juge n’est pas là pour faire du social, mais pour veiller à la bonne application des lois.
D’autres magistrats demeurent indulgents, malgré tout. Ainsi, récemment, un juge a convoqué un propriétaire en son bureau au tribunal, pour lui expliquer que, même si la loi était pour lui, en face d’un locataire récalcitrant, lui juge X… rejettera la demande d’expulsion, arguant que, pour des motifs uniquement financiers, on ne peut décemment pas condamner toute une famille à dormir dans la rue, parce que deux ou trois mois de loyers étaient en souffrance. Correct et honnête, ce magistrat avait tenu à clarifier sa décision auprès d’une des parties qui ne comprenait pas qu’une demande justifiée soit aussi sèchement rejetée. Revenez en avril/mai, conseilla le juge au propriétaire, et si, à ce moment-là, le locataire est toujours défaillant, nous prononcerons son expulsion. Dans un autre domaine, celui du pénal, il est recommandé aux juges de bien veiller aux attendus de leurs jugements. Dans une affaire pénale, expliquait récemment l’un d’entre eux, nous avons ce problème de conscience. C’est une chose d’envoyer un émetteur de chèque sans provision derrière les barreaux, mais ce faisant c’est aussi toute sa famille que nous punissons ; or, l’épouse et les enfants (souvent) mineurs n’ont rien commis d’illégal, mais vont quand même se retrouver dans une situation difficile. Alors, il faut savoir opter pour des décisions… mi-figue, mi-raisin, préservant au mieux un juste milieu : les juges opteront alors pour des peines aménagées, assorties de sursis quand il y a condamnation à de la prison, privilégieront des condamnations à des amendes pécuniaires…
Mais, rajoutait ce magistrat, «le monde n’est pas peuplé que de gentils messieurs : il y a aussi des individus dangereux pour la société, qu’il convient d’écarter des circuits sociaux en les enfermant». Et dans ce cas, c’est bien dommage certes, avait-il conclu, «mais n’est-ce pas, c’est bien connu, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs !».
